[CR] Trois semaines vers l'Adriatique et la Grèce en Transalp 700

ImageDe la promenade du dimanche au rallye raid, en passant par ton tour du monde à  toi que tu as fait, c'est ici: Organise, rameute, raconte!
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Qohen
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[CR] Trois semaines vers l'Adriatique et la Grèce en Transalp 700

Message par Qohen »

Bonjour ! \o/

Cela fait une semaine que je suis rentré, il est temps de tartiner le compte-rendu avant d'oublier les petits détails qui font que les voyages se suivent et ne se ressemblent pas.

Je suis parti solo du 11 au 30 septembre, traversant l'Italie, la Slovénie, la Croatie, le Monténégro, le Kosovo, la Macédoine du Nord, la Grèce, et de nouveau l'Italie. Pas grand-chose pour certains, un solide roadtrip pour débuter en ce qui me concerne, et évidemment, bien trop court. J'avais la TA depuis le 31 décembre au garage, avec seulement un A2 en poche. Ayant prévu deux roadtrips qui ont dû être annulés, j'ai ressorti des cartons ce voyage, si bien que j'après des mois d'attente j'ai pu poncer la TA jusqu'à (presque) plus soif.

Quelques chiffres avant de commencer :

8910km au total
20 jours de route
183€ de péages
673€ d'essence
721€ d'hébergement
109€ de ferries
+ deux ou trois restos, quelques courses et pas mal de cafés/bières :mrgreen:

Ça risque d'être long, donc j'espère, si vous y consentez, que vous passerez un bon moment !

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Qohen
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Introduction

Message par Qohen »

Depuis plusieurs mois, je préparais un voyage dans les Balkans. Ayant épluché dangerousroads.org, quelques vidéos et sites, j’avais pondu un beau tableur dans lequel étaient consignés tous les points d’intérêt, points de passage, dates, kilométrages et temps de trajet, avec arrêts principaux, secondaires, sites de bivouac potentiels, etc. Je savais exactement où j’irai, quand, qu’y voir et pour combien de temps.

Evidemment, lorsqu’on peut enfin s’extirper du marais du quotidien et s’ouvrir l’esprit à d’autres latitudes ou longitudes, on veut s’empiffrer d’un maximum de choses, tout voir, tout visiter, ne pas laisser une minute d’indécision, bref, “profiter un maximum”. J’avais ainsi bien calculé la route pour optimiser un maximum mon temps. Je tombais ainsi, en pensant l’éviter soigneusement, dans le piège classique de l’impératif de profiter des vacances, conséquence directe de la canalisation étroite de notre temps par le mode de vie capitaliste. Toutefois, un agenda extrêmement précis ouvre la voie, de toute évidence, à la disruption immédiate en cas d’imprévu, et même avant cela, au stress de certaines logistiques peu flexibles, comme les ferries (j’y reviendrai). :stress

Lorsque les deux roadtrips en duo prévus pour cette année ont dû être annulés (dans les Alpes et en Espagne), et que quelques autres plans furent tombés à l’eau, je repris mes plans pour l’Adriatique et les Balkans en solo. Mon permis A n’arrivant toujours pas, j’ai posé mes congés pour septembre, et procrastiné la finition de mon programme jusqu’au dernier moment. Peu de temps avant de partir, j’hésitais encore sur le roadtrip à effectuer, sur l’agenda des Balkans, sur les dates des ferries, je corrigeais, je réagençais, je doutais, si bien que le vendredi soir de mes vacances, je ne savais toujours pas où partir, malgré trois ou quatre roadbooks prêts et sur-prêts. Ce glissement idiot vers l’angoisse de la préparation me rendait ces vacances moto tant attendues si désagréables que j’étais à deux doigts de les annuler. :ordi

Évoquant le sujet avec mon entourage, on me répondit que je me mettais trop de pression. Ah, évidemment. Nageant dans une attente interminable (8 mois que la moto était au garage, attendant mon permis A que les préfectures ne délivrent pas avant ni pendant les vacances d’été), j’avais tranquillement dérivé, sans m’en rendre compte, vers mon obsession pour l’optimisation et la préparation. Attentif à ce qu’on me dit, j’acceptai de bazarder mes plans trop rigides et d’adopter une nouvelle approche. Je pris mes cartes papier, fluotai les belles routes prévues, pris mon bloc-notes et listai un certain nombre d’endroits à visiter/parcourir pour chaque pays, saisi mon GPS sans y précharger le moindre tracé, et le dimanche après-midi, me secouant un peu, j’étais parti. J’avais très envie de partir mais cette indécision réussissant à me bloquer complètement, j’ai paradoxalement dû me donner un coup de pied au cul pour aller faire ce que j’avais vraiment envie de faire, et que j’avais attendu depuis longtemps.

Ainsi, j’ai manqué de nombreux arrêts initialement prévus dans mon Programme Parfait®. Et ce n’est pas grave. Une fois secoué, j’ai naturellement repris mon éthique du lâcher prise, accueilli un brin d’improvisation et profité de ce que j’avais devant mes roues, sans trop penser à ce que je ratais (c’est-à-dire ce que je réservais pour un futur voyage). Je suis parti sans savoir où je dormirais chaque soir, ni même si j’aurais le temps ou l’envie d’aller en Grèce, dont la pointe sud du Péloponnèse était en quelque sorte le “but” symbolique du voyage. Je ne savais pas si j’aurais le temps de passer vite fait en Bulgarie.

Je commencerai donc par lister ce qu’au final je n’ai pas fait ou vu, qui était pourtant solidement prévu dans mon programme initial. Je n’ai pas vu Ljubljana ni Kranj en Slovénie. Je n’ai pas vu Motovun, Pula, le parc national de Plitvice, les parcs de Kornati et Krka, Zagreb, Trogir ou Dubrovnik en Croatie. J’ai contourné la Bosnie-Herzégovine par accident. Je n’ai pas vu le canyon de Tara, et peu du parc national du Durmitor (il faisait un temps épouvantable au sommet). Je n’ai pas du tout eu le temps d’aller en Bulgarie. Je n’ai pas fait une randonnée sur le mont Olympe. Je ne suis pas allé passer deux jours en retraite spirituelle sur une des îles des Cyclades. Je ne me suis pas arrêté saluer un vieil ami, Alexandre le Grand, à Thessalonique. Et ce n’est pas grave.

J’imaginais ce voyage comme une sorte d’aventure spirituelle, un temps à moi où je pourrais me recentrer, sinon trouver des réponses, formuler les bonnes questions, et revenir avec une perspective différente sur ma vie. Rien n’en fut. Trop de sollicitations sur la route, toujours quelqu’un avec qui échanger quelques mots, dépliant la carte quand je n’étais pas en train de photographier ou filmer… Pas vraiment mon contexte pour un retour en soi. Et ce n’est pas grave. J’ai appris sur le voyage à moto, j’ai pu appliquer le lâcher prise, apprécier l’instant sans angoisser de la suite, voir de magnifiques paysages, poncer ma nouvelle moto, et c’est déjà pas mal.

Bref, après cette longue introduction, en route.

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Qohen
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Jour 1 | Lyon - Val Cenis - Tortona

Message par Qohen »

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Après ma courte et rapide re-préparation, je me lançais donc sur la route en direction de la Slovénie. Rien de vraiment prévu sur la route jusqu’à cette frontière, à part beaucoup d’autoroute. Je m’offrais quand même, en guise de changement de rythme, un passage par le lac du Mont Cenis, toujours aussi magnifique. Pas très chaud pour emprunter le tunnel du Mont Blanc, surtout au prix qu’il coûte. Ce sont les vacances, je ne suis (plus) pas à une minute près.

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Le lac du Mont Cenis, jamais décevant dans sa beauté austère

Si l’autoroute depuis Lyon en direction de l’Italie est assez agréable, du fait du tracé serpentant entre les montagnes, l’italienne est quant à elle d’un ennui mortel. J’y passais une bonne partie de la soirée, découvrant avec un certain déplaisir les “traditions” de conduite des Italiens ; sans soupçonner que j’en aurai un peu plus tard une expérience largement pire. Je pense que leur réputation les précède suffisamment pour ne pas m’épancher sur le sujet ; qu’il soit dit que cette réputation est bien méritée. Le hasard me gratifie néanmoins, en contrepartie, d’une impressionnante lune jaune, énorme et basse dans le ciel, comme je n’en avait jamais vue auparavant.

J’arrive aux abords de Tortona, barycentre de Turin, Milan et Gênes, pour ma première nuit, en chambre dans un country club quelconque. La chambre est une chambre, sans plus, et le prix est… européen.

Si ma première idée était de bivouaquer autant que possible, j’ai révisé mes plans quand j’ai vu que d’une part, l’Adriatique et la Grèce du sud étant très, très rocheux, il était a priori très compliqué non seulement de s’écarter de la route, mais en plus de trouver un endroit plat et “confortable”, et que d’autre part très peu d’emplacements, par ailleurs peu convaincants, étaient listés sur Park4Night. Conséquemment il eût probablement fallu passer deux à trois heures chaque jour pour éventuellement trouver un endroit, ce qui grevait sérieusement le temps de roulage journalier. J’ai donc opté pour l’hébergement classique, toujours en dernière minute, sur Booking ou AirBnb.

Arrivé vers 22h, je passais donc une première nuit dans ce country club confortable, réalisant que mon départ en trombe avait peut-être été un poil précipité. En effet, en fouillant mes bagages je notais l’absence de boxers de rechange, ainsi que d’une pièce du support de la GoPro, que je ne pouvais donc pas fixer à mon casque. Par ailleurs, j’avais embarqué le GPS sans le mettre à jour, ce qu’il me rappelait avec insistance par des message réclamant 8Go de téléchargement à effectuer. Ainsi, tandis que je laissais le GPS se gorger du wifi de l’hôtel toute la soirée, je passais la majorité d’une heure à chercher le lot de boxers et le support de GoPro les plus susceptibles d’être très rapidement livrés le plus loin possible d’ici, afin de perdre le moins de temps possible. Naviguant tant bien que mal l’Amazon italien, je parvins à commander pour une livraison le surlendemain dans un Amazon Locker dans la banlieue de Trieste, à quelques pas de la frontière slovène. Pestant contre mon incurable capacité aux petits oublis de dernière minute, je m’effondrai dans la conclusion de cette première journée. :zen
Modifié en dernier par Qohen le 09 oct. 2022, 14:35, modifié 1 fois.

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Flan
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Re: [CR] Trois semaines vers l'Adriatique et la Grèce en Transalp 700

Message par Flan »

:popcorn Haaaa mais non seulement on consent mais on va te remercier à fond.
Je m'installe devant dès que j'ai un petit moment
Excuse me but I have to explode....
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Qohen
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Jour 2 | Tortona - Skofja Loka - Postojna

Message par Qohen »

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Je prends mon petit déjeuner, un peu gauche par inhabitude des usages de la clientèle hôtelière, en songeant qu’avant la fin de la journée je serai à deux frontières de distance de chez moi. Je n’ai pas tant voyagé, pour un gamin des années 90 né dans la classe moyenne. Plusieurs séjours au Portugal chez la famille (sans jamais nous arrêter en Espagne), trois semaines aux Etats-Unis en voyage linguistique, une semaine en Allemagne idem. En soi, débarquer en Slovénie n’a rien de spécial. Symboliquement, y entrer solo représente le premier pas de mon premier “vrai” voyage, hors des frontières locales de la France, hors des langues familières. Le quotidien fade est déjà loin. Dans ma tête j’ai déjà passé la frontière. 8)

Mais dans la réalité réelle, j’ai encore quelques heures d’autobeurk à égrener.

Une fois passée la frontière, l’atmosphère change nettement. L’autoroute est moins encombrée, les automobilistes plus civilisés. L’impression générale est calme. Je feuillette mes notes et vérifie que l’euro a cours ici, puis je bifurque vers Skofja Loka, au nord-ouest de Ljubljana, pour passer ce qu’il me reste de la journée.

Frôlant Ljubljana, je dois aux panneaux de signalisation de m’indiquer sa présence, sans quoi je n’eus pas même remarqué que j’empruntais la rocade d’une capitale. Le relief, plat, couvert de maisons, sans immeuble visible a priori, n’évoque pas du tout l’urbanisation crasse et fatigante des marges étalées de nos grandes villes. Ljubljana est une petite capitale, et à l’examiner sur Maps, c’est probablement l’une des rares grandes villes que j’eus apprécié de visiter.

Par principe j’évite, sur mon trajet, toutes les villes. J’ai une aversion prononcée pour l’incessant brouhaha urbain, et j’estime que l’on peut mieux profiter des flambeaux de la culture et de l’architecture depuis chez soi que sur place, noyé dans un marécage d’autres touristes, nourrissant un bruit de fond constant et accaparant en permanence l’attention, prévenant ainsi toute possibilité (personnellement) d’absorber l’atmosphère d’un lieu. J’aime m’imprégner des endroits que je traverse, et je ne peux faire cela dans des centres urbains occidentalisés à perte, dont l’âme se réduit souvent à quelques rues “préservées” où se concentrent les visiteurs, eux-mêmes reliefs ambulants d’une culture occidentale mal digérée à laquelle ils vous empêchent d’échapper. Au moins, dans les quelques centres que j’ai traversés, n’ai-je pas vu des kebabs insérés dans des édifices du XIXe siècle.

Skofja Loka, pour sa part, sise sur une petite rivière non asséchée, est tout à fait charmante et donne le ton de la Slovénie, dont je garde un souvenir disproportionnellement bon en regard du peu de temps que j’y suis resté. Ce qui me frappe immédiatement, tandis que je cherche où me garer, c’est le sentiment évident d’une certaine qualité de vie. Qualité qui n’a rien à voir avec le revenu par habitant, le nombre de SUV de luxe dans les rues, l’arrogance du style vestimentaire — rien de toutes ces dérives vulgaires de nos pays en déclin. Je ne connais pas la situation économique de la Slovénie, ni à quoi ressemble la vie quotidienne pour ses habitants. Ce que je perçois, néanmoins, c’est une atmosphère plus claire, plus nette, moins viciée. Un air où cette petite voix que l’on ne veut pas toujours admettre, celle qui nous dit d’être sur nos gardes, peut enfin se taire.

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C’est d’ailleurs une chose que j’ai immédiatement remarquée en quittant l’Europe “principale”. Il n’y a qu’en France ou en Italie que je surveille mes affaires, que j’ai toujours cette mise en garde au fond de la tête, cette conscience de l’éventualité de me faire voler des affaires. Je n’ai pas eu ce sentiment tout le temps que je fus hors d’Italie. Bien sûr, je verrouillais casque et blouson sur la moto, mais le reste de mes bagages (sac à dos photo/vidéo excepté, emmené lors des visites) n’étant pas verrouillé, n’importe qui peut s’y servir. Mais personne n’y prit quoi que ce soit.

Ainsi, exonéré du pénible réflexe de me demander où je suis tombé, je laisse la moto en toute confiance sur le parking (gratuit) d’une église, et déambule avec confiance et plaisir pour ma première visite dans un pays de moi inconnu. Je suis immédiatement charmé par ce que je vois ; rien de terriblement étranger à chez nous, visuellement, mais juste assez d’alpin pour être familier, et assez de différent pour soutenir la curiosité. La faible fréquentation est un véritable plaisir, conservant au petit centre son rythme tranquille plus naturel que l’invasion touristique estivale. L’atmosphère alpine (Skofja Loka se trouve dans les Alpes Juliennes) est visible à certains détails architecturaux, tandis que quelques touches de couleur ça et là contrebalancent l’apparente vétusté de certains bâtiments et confère à l’ensemble une sobre gaieté. Les quelques arches et contreforts le long de la rivière me rappellent ma ville natale d’Annecy ; les quelques rares vieilles structures en bois survivantes contrastent avec les éléments en fer forgé, évoquant un début de XXe siècle élégant et familier.

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Les rues piétonnes sont larges et — ce sera une constante tout au long de mon voyage — propres. C’est d’autant plus surprenant que le long de l’Adriatique, dans bien des communes que je traverserai, lambda comme touristiques, chiens et chats sont très présents et en liberté. Je me promène ainsi en toute insouciance, respirant l’air paisible d’une petite ville encore préservée, je l’espère, des névroses occidentales qui gangrènent nos pays fatigués. Encore timide dans mon rôle de touriste, inapte à me départir de la sur-conscience de moi-même qui me rend gauche, je prends peu de photos — et vite. Je me lance toutefois à échanger mes premiers mots en slovène tandis que je m’attable pour une mousse, première itération d’un rigoureux rituel. Sur une grande place pavée, légèrement en dévers, sur laquelle s’étagent deux ou trois cafés et une clientèle en pointillés, je m’installe en terrasse avec l’église à ma gauche et la vie locale à ma droite, me coulant dans le moment, goûtant le mélange entre la deep house familière diffusée en fond et l’actualité grisante de mon escapade à deux frontières de chez moi. La petite saveur terriblement bourgeoise de retrouver un peu du même, mais ailleurs — en attendant de m’enfoncer plus avant dans l’ailleurs, en d’en faire mon quotidien.

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Reprenant la route pour mon hébergement, je longe de nouveau Ljubljana au fil des plaines cultivées qui l’entourent. Tandis que le ciel décline, les lignes droites entrecoupées de petites communes tranquilles (pour une fois que les interruptions ne m’agacent pas !) collent à l’atmosphère paisible qui infuse tout ce qui m’entoure. Les monticules modérés de la fin des Alpes, s’allongeant à l’arrière-plan du décor, enrichissent la composition. Au milieu de la plaine, blanche et noble, une église se dresse, drapée des rayons chauds du soleil couchant. Je vais de nouveau arriver tard. La nuit tombe et je grimpe l’un des monticules jusqu’à un village autour de Postojna, affreusement désolé de troubler la quiétude avec ma moto à 21h.
Modifié en dernier par Qohen le 09 oct. 2022, 14:36, modifié 3 fois.

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Re: [CR] Trois semaines vers l'Adriatique et la Grèce en Transalp 700

Message par Qohen »

Flan a écrit :
08 oct. 2022, 10:48
:popcorn Haaaa mais non seulement on consent mais on va te remercier à fond.
Je m'installe devant dès que j'ai un petit moment
Bonne lecture ! N'attendez pas tout aujourd'hui, par contre :lol:

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Re: [CR] Trois semaines vers l'Adriatique et la Grèce en Transalp 700

Message par Flan »

Il faut savoir distiller...
Tu fais comment :Tu rediges peu à peu ou tu as déjà tout prêt et tu prends le temps de nous laisser découvrir ?
J'aime bien le style en tous cas.
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Re: [CR] Trois semaines vers l'Adriatique et la Grèce en Transalp 700

Message par Tenno »

Chouette le CR d'un voisin en Transalp 700 :youpiii

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Re: [CR] Trois semaines vers l'Adriatique et la Grèce en Transalp 700

Message par Qohen »

Flan a écrit :
08 oct. 2022, 11:34
Il faut savoir distiller...
Tu fais comment :Tu rediges peu à peu ou tu as déjà tout prêt ? J'aime bien le style en tous cas.
Merci ! J'ai commencé à rédiger ce matin, je vais poster au fur et à mesure.

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Addendum au Jour 2 | Kamnik

Message par Qohen »

[Entre Skofja Loka et la fin de la journée, il y avait Kamnik...]

Je prends ensuite la direction de Kamnik, petite ville assez similaire un peu plus au nord de la capitale. J’y retrouve la même atmosphère calme et reposante, cozyment adossée au pied des montagnettes sans être oppressée par leur ombre. De nouveau des rues respirantes et impeccables. L’artère principale jouit d’une circulation modérée, bien que j’y croise les premiers — et quasi seuls — crétins à scooter de mon voyage. Aussitôt oubliés. Je laisse les scrupules s’évanouir et me gare sur l’immense place vide et entame la marche jusqu’au belvédère qui surplombe la ville. Les touches de couleurs ajoutent une agréable finition festive à ce qu’on imagine naïvement, n’ayant pour référence que les cours d’histoire sur les accouchements compliqués de l’ex-Yougoslavie, être un pays appauvri et tristounet. Les bancs disposés un peu partout le long des rues piétonnes suggère un rythme de vie qui sait prendre le temps. Le belvédère, situé sur la colline adjacente, ponctué de quelques touristes, offre une jolie vue sur la ville. C’est le premier spécimen des visites verticales qui me feront pester contre mon jean moto irrespirable…

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Mauvais réglages de l’appareil + timidité = photos pas terribles. Ce sera mieux par la suite…

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Jour 3 | Postojna - Piran - île de Krk

Message par Qohen »

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Je me lève rechargé après une nuit dans un silence absolu. Faisant écho au paysage sonore, la campagne est plongée dans la brume matinale que le balcon de mon hébergement domine à peine. La rosée sur la moto me lie encore à l’automne continental que j’entends esquiver en traçant aujourd’hui et pour deux semaines vers le Sud. Avant de prendre la route, je pars marcher un peu dans le village, entre 6h30 et 7h, pour capter l’humide silence de la campagne slovène. Entre bâtiments de ferme et garage auto délabré, maisons flambant neuves sans jardin et église décrépite dominant la pente, j’aperçois une écolière, seule, cartable sur le dos, longeant la rue principale pour rejoindre l’école ou un arrêt de bus. Une image qui chez nous, il me semble, appartiendrait à une autre époque, et qui fait pendant à l’urbanisation sans visage qui infecte progressivement les pays périphériques de l’Europe. Quelques minutes plus tard, je croise un groupe de trois autres écoliers, qui me saluent poliment — ce qui me surprend. L’occasion d’offrir un Dobro jutro à l’improviste. Un tracteur grommelant dans un coin complète le tableau d’un matin d’automne dans la campagne slovène.

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Espérant que ma livraison Amazon n’aura pas de retard, je commence ma journée avec la visite de Piran, petite ville côtière du modeste littoral slovène, entre Trieste et la péninsule croate de l’Istrie. L’endroit est clairement touristique, comme en témoigne la seule présence d’un accès payant obligatoire. Le ticket couvre la mise à disposition de parkings à proximité, néanmoins, 5€ pour 1h30 de présence est à mon sens un tarif plus français que slovène. Je peux au moins longer le front de mer et me garer dans une ruelle au cœur même de la vieille ville qui couvre la pointe de cette tranche du littoral. La présence modérée de touristes, surtout hors de la place principale couverte de terrasses de restaurants, ne gâche pas ma balade parmi les innombrables et minuscules ruelles, où s’accumulent pêle-mêle murs colorés, linge qui sèche, climatiseurs, et motos. Des proto-cafés ne comptant qu’une table et deux chaises — tout à fait mon type de café — ponctuent ces passages ou s’engoncent au coin des places. Le calme règne dans ces ruelles (il n’est que 9 ou 10h). Le cœur de la vieille ville, comme pour Skofja Loka et Kamnik, est exclusivement piéton ; seul le front de mer est circulable, si bien que même à l’heure où les établissements se font livrer, on peut déambuler sans devoir faire place aux fourgons. Si la température est douce, probablement autour de 22°C, le soleil cogne nettement plus fort qu’en France à cette époque. En jean moto, on a vite chaud.

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Au fil des ruelles, je m’interroge sur la fameuse dolce vita italienne. Qu’est-ce qui la distingue des autres ? À les voir conduire, je me demande en quoi elle consiste... Du peu que j’ai vu jusqu’à présent, je peux déjà percevoir une dolce vita adriatique qui n’a rien à envier à l’autre, et certainement pas, à cette époque, son interminable inondation touristique (comme j’en ferai l’expérience à Amalfi deux semaines plus tard). En outre, je réfléchis à l’absence de cette flamboyance occidentale propre au pays “phares” de notre culture, autorisant une forme de décomplexion plus à même, à mon sens, d’être profitable à qui préfère le tourisme décalé. Fi de “il faut voir ceci”, “il faut faire cela”. Pas de checklist des “incontournables” de l’histoire, de l’architecture, de la culture locales. Le grand avantage, il me semble, des “petits” sites touristiques, ou des lieux qui sont quelque chose de particulier, qui ne proposent pas un centre de l’attention, est de dissiper la détermination focale, l’expectation de quelque joyau à visiter, au détriment du reste considéré comme décor. Je laisse plus que volontiers aux touristes les visites des grands monuments, et me réserve les déambulations hasardeuses dans les rues adjacentes, où se déploie la vie quotidienne locale, cherchant à en respirer l’odeur, à en sentir la tonalité, à saisir comment l’agencement géographique influe sur l’atmosphère de l’endroit, lui donne sa mélodie particulière, nuance ma vision du monde à partir de sa perspective.

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Je prends mon “petit déjeuner” (un café) attablé en face de la mer, où se baignent quelques couples de retraités. La terrasse est vide. Celle d’à côté aussi. Si même au cœur des villes touristiques je peux trouver du calme, je risque de passer du bon temps au fil du voyage :mrgreen: Reprenant ma marche, je monte au belvédère, appréciant la vue sur la pointe et la chaleur estivale rampante. En redescendant, je poursuis mon exploration et m’attable de nouveau en terrasse, cette fois-ci au coin d’une place, contre un muret de pierre. Les tables en bois rustique s’alignent sous la canopée feuillue, et un homme, en face de moi, semble absorbé dans une rédaction manuscrite. Je repense à mes années d’études littéraires, quand j’allais quelquefois lire ou écrire dans quelque coin vert et isolé, en plein Lyon. Quelque chose de cette simplicité studieuse me rappelle de douces et familières émotions.

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Dépliant ma carte, j’aborde la table adjacente pour un feu ; ma difficulté habituelle à aborder le quidam est déjà en train de s’évaporer. Le confort psychologique de l’entre-soi est déjà si loin que l’étranger s’établit sans à-coups comme le normal, et le statut de voyageur octroie, en quelque sorte, un passeport incomplet : confronté au nouveau, de passage en terre inconnue sans aucune de ses protections familières, on est à la fois soi, nu et ne parlant que quelques mots de la langue, et quelqu’un d’autre, un voyageur composé des perceptions différentes de tous ceux que l’on croise, qui chacun n’effleure qu’un aspect parcellaire de soi. L’étrange crainte d’être jugé, obsolète et sans objet, s’évanouit et rapidement on ne se préoccupe plus d’impressionner qui que ce soit, de se donner un genre, de ne pas avoir l’air bête. On a d’autres préoccupations. On traverse l’Europe en solo, après tout.

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Entre Piran en Solvénie et Pula en Croatie, j’ai noté sur mon calepin Motovun, petit village médiéval perché sur une colline. La route qui y mène serpente entre les forêts et me donne un avant-goût des plaisirs motocyclistes à venir bientôt. Elle est très roulante, me permettant ainsi de bien prendre en main la Transalp entre longs sweepers et virages plus serrés. Lorsque j’arrive au pied du village, apercevant un unique parking payant et plein, mon aversion chronique prend le dessus et je ne m’arrête pas. Je continue un peu plus haut sur la route, trouve un restaurant et m’y arrête en réfléchissant à la visite. Etant donné qu’il commence à faire vraiment, vraiment chaud et que tout le village est (évidemment) tout en verticalité, je décide de renoncer à la visite. Je vous mets quand même une photo Wikipédia pour l’illustration ; pour ma part, il ne s’agit que de vieilles pierres, je n’ai pas “perdu” grand-chose !

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Entretemps, je vérifie l’avancement de ma commande et ô joie, elle sera livrée cet après-midi et non demain. Derechef je reprends la route de Trieste, traverse deux frontières, et récolte mon butin. Boxers propres, support de GoPro, je peux enfin (re)partir l’esprit tranquille et commencer à filmer un peu. Pula étant très touristique, et l’aller-retour m’ayant fait perdre quelques heures, je décide d’éviter de “prendre du retard” et d’enchaîner sur la Croatie. J’aime autant “sacrifier” la Slovénie et l’Istrie, car il sera plus facile d’y retourner ultérieurement en moto que les pays les plus éloignés.

Je mets ainsi le cap vers l’île de Krk, en Croatie, au début de l’Adriatique, vaguement déçu de ne pas commencer ma collection de tampons sur mon passeport (merci l’UE). L’ambiance des décors change progressivement de la Slovénie boisée aux côtes croates rocheuses et arides, néanmoins barbouillées des couleurs automnales, dont je serai servi tout au long de l’Adriatic Highway.

Facilement accessible, l’île de Krk est reliée au continent par un beau pont* (gratuit) qui offre une belle vue sur la mer et ouvre la voie à la route 102** qui traverse l’île d’ouest en est. Rapide, propre, lisse, avec de grands et longs virages côtoyés de buissons secs parfois troués sur la vue de l’île, la route est une parfaite introduction au petit paradis de la moto qu’est la Croatie. Cherchant un peu tardivement un endroit pour changer quelques devises et n’ayant pas voulu plonger dans Rijeka, la grosse ville qui précède l’île, je m’aventure dans une route secondaire en espérant tomber, à son extrémité, sur une bourgade assez grande pour avoir un bureau de poste. Je me dirige vers Čižići au fil d’une route joueuse, pas très large mais lisse, tordue de virages plus ou moins aveugles, peu fréquentée, sur laquelle on a envie de s’amuser (modérément). Un changement de rythme bienvenu après les quelques heures d’autoroute plus tôt dans la journée. Čižići est une petite commune balnéaire étalée au bord d’une minuscule baie. Je tourne un peu, demande à un commerçant s’il y a une banque ou une poste, que nenni. Je me résigne à sortir quelques biffetons d’un distributeur ATM et consent, première et unique fois, à l’exorbitante taxe sur la transaction.

Reprenant le chemin en sens inverse, je reprends la 102 qui déroule sweeper après sweeper. La circulation se décime à mesure que l’on s’enfonce vers le centre de l’île, et la vitesse moyenne augmente en proportion. Je ne parcourerai pas toute la 102, car je m’arrête à Kornić, sur les pentes de la baie au sud de l’île. L’empreinte balnéaire est évidemment très présente ici aussi, mais ce n’est pas ce que je suis venu chercher.

Mes affaires posées et la moto allégée, je repars pour un petit ride vespéral sur l’objet de ma venue, la route balcon qui mène à Stara Baška***, petit village de pêche coincé sur le peu de place habitable entre la côte raide et rocheuse et la mer, au sud de l’île. Au sortir de Punat, la route offre un paysage de collines arides, méridionales, avant de laisser place à une quasi-falaise à gauche, à une vue imprenable sur la mer et les îles à droite. Le soleil couchant baigne ce paysage irréel d’une lumière cinématique. Les courbes s’enchaînent en descendant jusqu’au village, lequel est, évidemment, prisé des touristes. J’y fais demi-tour et je remonte la route à la tombée de la nuit, prétendant, à la faveur de quelques kilomètres de décor aride, d’îles au loin, affranchi de la vue d’une habitation, que je me trouve quelque part en Orient, enveloppé du mystère exotique qui enflammait les imaginations du XIXe siècle romantique, jusqu’aux récits de Ted Simon dans les années 70.

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Re: [CR] Trois semaines vers l'Adriatique et la Grèce en Transalp 700

Message par varaboliot »

OUAAAH !!

Quelle jolie moto. :love

Merci pour le voyage. :respect \o/
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Re: [CR] Trois semaines vers l'Adriatique et la Grèce en Transalp 700

Message par Qohen »

varaboliot a écrit :
08 oct. 2022, 15:58
OUAAAH !!

Quelle jolie moto. :love

Merci pour le voyage. :respect \o/
Merci :mrgreen:

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Jour 4 | Île de Krk - Adriatic Highway - Veliki Alan - Mali Alan - Novigrad - Rtina

Message par Qohen »

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Cette route est tellement sympa que je me la refais au petit matin, à l’heure où ça pionce, histoire de prendre mes photos en toute tranquillité. Le ciel me gratifie d’une nouvelle palette de couleurs titillant mon sens de l’aventure et mon goût pour les promesses de l’aube. Ce matin j’entreprends la longue trace plein sud…

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Après avoir reparcouru la route 102 et traversé le bras de mer, j’entame la fameuse Adriatic Highway*. Serpentant à flanc, l’AH déroule sur son premier tiers un billard impeccable sur environ 180 kilomètres, jusqu’à Jasenice, un peu au nord de Zadar. Si les deux tiers suivants de la route sont plus urbanisés, balnéaires et à mon avis moins fun à rouler (j’y reviendrai), cette première partie est un pur plaisir pour la moto, surtout si vous y posez les roues hors saison et à une heure peu fréquentée. En ce lundi matin couvert, à la mi-septembre, j’ai eu très, très peu de camping-cars allemands à dépasser, et globalement quasi personne dans mon sens de circulation. J’ai ainsi eu le champ libre pour m’amuser (dans la limite des capacités d’une TA chargée)...

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Quelques clichés tirés de la GoPro... taille modeste car la vidéo ça pèse...

La route est donc très peu interrompue, ce qui en soi est déjà une grande satisfaction venant d’un pays où toutes les nationales sont systématiquement coupées par un million de bleds dont les habitants maudissent les milliers de bagnoles et camions qui font trembler leurs volets à longueur de journée. Au début, le décor sec enserre le bitume entre des roches parsemées de végétation rêche et dégradant du vert estival au orange automnal, secondées en arrière-plan par les pentes caillouteuses caractéristiques du littoral croate. Virage après virage, la route ne casse jamais le rythme. Ça continue, et ça continue. Virage après pont après tranchée percée à même la roche, alternant les tons bruns, rouges, verts et oranges, ce qui frappe après une trentaine de minutes à bon rythme, sans toucher le frein, c’est que cette route donne, donne, et continue de donner inlassablement.

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Ça ne s’arrête jamais. Peu à peu le tracé s’approche de l’eau. Les buissons sur la droite laissent place au spectacle des îles croates disséminées au loin, par-delà les blocs de pierre écru qui représentent une bien maigre protection en cas de sortie de route. Les quelques virages un peu serrés permettent de jeter un oeil en contrebas, pratiquement à la verticale, et d’apprécier l’effet grisant de frôler les blocs adossés à l’aplomb de plusieurs mètres de vide. Quand s’ouvre la vue, on aperçoit le tracé mollement virageux de la route, semblant nous attiser par ses courbes avenantes, évoquant une course de côte. Ou peut-être est-ce mon poignet qui commence à vouloir essorer la poignée à la vue de ce véritable terrain de jeu. Etant donnée l’époque, et bien que je croise encore pas mal de motards, pas une voiture de police en vue, ni de radar. Il n’est d’ailleurs même pas question d’aller particulièrement vite (je dépasse rarement la limite légale), mais simplement de rouler sans crainte et sans garder les yeux rivés à son compteur… Bref, d’apprécier les paysages sublimes, la route excellente, le plaisir cinétique d’enchaîner les courbes fluides à n’en plus finir.

J'ai compilé mes clips de cette route ici :

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Sur cette route j’ai noté deux cols à grimper, et après une à deux heures de fun, j’arrive à proximité du premier.

À hauteur de Jablanac, je bifurque vers l’intérieur pour grimper la route du col Veliki Alan**. Sitôt que l’on quitte le littoral strict, on est en montagne. Remarquable rapprochement de deux ambiances qui offre de nombreuses opportunités de profiter de vues magnifiques. La route du col est étroite, usée, pas toujours bitumée : un premier défi d’agilité avec la Transalp, relevé sans difficulté par cette moto couteau suisse. Les gravillons sont attaqués avec confiance grâce au comportement sain et aux Bridgestone Battlax qui ne failliront à aucun moment au cours du voyage. La température diminue sensiblement au fil de la montée. J’aperçois entre les arbres la mer, dont j’apprécierai encore mieux la vue lors de la descente.

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Pépette sur fond d'Adriatique

Arrivé au col, un bar-restaurant, peut-être ? un peu caché au fond, à la lisière de la forêt. Un peu en avant, sur la gauche, un chemin mène aux anciennes maisons de bergers, constructions de pierre dans des états variés de destruction. À droite, un vague parking de cailloux occupé par un van solitaire où une famille de jeunes Allemands fait une pause. Un banc permet d’apprécier une vue sur la mer, cernée de part et d’autre par les arbres. Mais au-delà du parking, on distingue un vague chemin menant au sommet d’une petite crête. Je décide donc de me changer et d’aller faire un peu de rando, quasi seul sur place, en quête d’un vrai panorama.

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En grand : https://i.imgur.com/ouMXtXB.jpg

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Comme prévu, la redescente est prodigue en vue plongeante sur le littoral, mais ce qui me frappe peut-être davantage est la saturation surprenante des oranges de la végétation. Comme si le décor avait été artificiellement saturé en post-production. Un contraste radical avec les forêts slovènes encore bien vertes et touffues. Le relief rocheux, gris pâle, fait vraiment ressortir les couleurs de l’automne. Je retrouve cette sensation où, après 2 ou 3 jours de route, le pilotage ne demande plus de réflexion et devient une continuité, une extension de soi. L’attention se porte sur l’environnement ; la moto obéit docilement, répond aux plus délicates impulsions, se manipule comme une évidence. Peut-être aussi que psychologiquement, je m’installe enfin dans le long voyage. Tout semble aller de soi.

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Je reprends le fil de l’AH. Je reprends le rythme fluide et rapide. C’est comme si je repartais du début. On pense que cela va s’arrêter à un moment donné, mais c’est systématiquement plus tard. On ne quitte une petite crique avec plage de galets que pour en longer une autre quelques kilomètres plus loin. La route passe si près, à certains endroits, qu’on se prendrait à tendre la main pour toucher l’eau à l’apex du virage. Eau d’un bleu saisissant, même sous la lumière fainéante d’un soleil à peine dévoilé par les nuages. Il fait chaud mais lesdits nuages m’épargnent au moins le soleil qui cogne, peu souhaitable sachant que j’ai pris le blouson Gore-Tex pas vraiment respirant. Ils s’effilochent un peu, laissant passer des rayons qui frappent les roches beiges, plus présentes à mesure que la végétation s’éclipse. Avant d’arriver à Jasenice, je dévie de nouveau vers l’intérieur en direction du col de Mali Alan***.

Quasi déserte, la route s’étire sous un soleil maintenant bien présent. Les montagnes pelées côté nord et boisées côté sud surplombent la plaine sèche que je traverse par des lignes droites qui m’évoquent l’imagerie du Midwest. Quelques bâtiments disséminés, écaillés par le soleil ardent qui règne pendant l’été où les températures atteignent fréquemment les 40°C, parsèment cette cuvette. Des lignes téléphoniques tendues en parallèle de la route, le bitume blanchi par la lumière, les buissons errants et les bas-côtés effrités de cailloux complètent le tableau désertique américain.

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Rapidement je prends de l’altitude sur la route du col. Rapidement aussi, le bitume laisse place à une piste de cailloux. Peu de difficultés pour la moto, mais pas le plus simple pour mes compétences inexistantes en off road. C’est mon premier vrai segment off road, il faut un début à tout ! Je me lance et tente d’apprivoiser la crainte instinctive provoquée par le glissement quasi permanent des roues ; néanmoins, je ne crains pas vraiment de tomber. Glisser ne m’est pas étranger ; la monture plutôt lourde, si. Je m’accommode assez vite de la sensation de flottement permanent. Après tout, c’est cette sensation qui donne tout son sel à la pratique du off road. Il est clair, cela dit, que la Transalp non préparée, bien que tout à fait capable de gérer cette surface, n’y est pas totalement à l’aise. Avec des pneus à crampons ce serait mieux, mais franchement vu l’épaisseur de la couche de caillasse, les Bridgestone s’en tirent honorablement. Avec une moto chargée, encore non maîtrisée, sur de la caillasse pure et sans compétences off road, je suis parvenu à ne pas tomber au fil des quelques kilomètres de montée/descente, et malgré deux ou trois beaux travers de la roue arrière. Une première expérience moyennement assurée mais indubitablement fun et physique.

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Le reste de la piste étant encore long (plus de 20km, que je n’avais pas anticipés lors de la préparation), le jour déjà bien avancé et l’expérience satisfaisante, je décide à mi-hauteur de redescendre. Le paysage au sommet semble vraiment valoir le coup ; à retenter un jour, peut-être avec des pneus un peu plus adaptés. Plutôt que de rejoindre les axes principaux en direction de Zadar, j’improvise un petit tour de la mer de Karinsko, qui prolonge la langue de mer adriatique séparant le continent de la presqu’île de Zadar. C’est l’occasion de découvrir les départementales, peu fréquentées et plus boisées. Les reliefs ne manquent pas autour de ce lac, notamment ces monticules au profil un peu rondouillard, comme composés de couches successives nettement traçables lorsque vues de loin ou de haut.

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La fatigue commençant à se faire sentir, je choisis au hasard de faire une pause à Novigrad, petite commune étirée le long d’un petit S formé dans les terres par la mer. Du centre-ville, où je m’arrête prendre un verre, on voit ainsi un méandre, qui s’ouvre sur la mer 500 mètres plus loin. L’endroit est excessivement calme, et quasi désert à l’exception des quelques tables occupées sur la terrasse de ce café, et des quelques locaux qui vont et viennent sur leurs vélos. Ils ne voient peut-être pas tant de touristes, ou de motards, car rouler debout ne manque pas de faire tourner des têtes.

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Dernière étape de la journée, Rtina où se trouve mon hébergement. Je remonte en direction de la mer, cette fois-ci en face de l’AH, sur le bras de terre duquel un pont relie le continent à l’île de Pag. La route 106 qui mène à Rtina et juste après à cette île trace tout droit depuis la crête du relief, si bien que je profite du jour qui s’achève depuis la route rapide et sa vue plongeante sur le réseau d’îles et de bassins à l’ouest.

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Je loge chez l’habitant, une vieille dame ne parlant pas un mot d’anglais mais très accueillante, installée à 20 mètres de la plage. Une fois posé, douché et nourri, je ne fais pas prier pour aller profiter de la quiétude vespérale sur le banc idéalement placé au bout de la petite jetée, seule âme qui vive sur cette plage pressée par des restaurants vides et des maisons éteintes.


*https://www.dangerousroads.org/eastern- ... oatia.html
**https://www.dangerousroads.org/eastern- ... -alan.html
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Re: [CR] Trois semaines vers l'Adriatique et la Grèce en Transalp 700

Message par ZeDab »

Merci !!!!!!!!!!!
Magnifiques photos, beau texte !

Souvenirs de jeunesse, dans l'ex Yougoslavie de Tito avec les parents ☺
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ZeDab est ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire d'Alsace-Vosgistan, sa moto est protégée par l'immunité diplomatique.
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Re: [CR] Trois semaines vers l'Adriatique et la Grèce en Transalp 700

Message par Biffou »

Merci pour ton récit au style très agréable 👍 hâte de découvrir la suite

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claude19
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Re: [CR] Trois semaines vers l'Adriatique et la Grèce en Transalp 700

Message par claude19 »

Bravo pour ce magnifique trip.
Les photos et compte rendu c'est au top .
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Re: [CR] Trois semaines vers l'Adriatique et la Grèce en Transalp 700

Message par JCA »

Merci pour ce magnifique récit, la lecture romancée et les splendides images nous emmènent en voyage avec toi 😍

Encore !...

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Qohen
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Jour 5 | Zadar - Adriatic Highway - Hvar

Message par Qohen »

Heureux que le récit vous plaise ! La suite arrive !
___________________________________________

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Je commence la journée par une rapide visite de Zadar. Rapide car au-delà de quelques bâtiments religieux d’époque, plus ou moins bien conservés, et une agréable promenade sur le front de mer, le vieux quartier n’offre pas grand-chose. Au milieu des autres villes que j’aurai visitées, généralement plus préservées et cohérentes, Zadar est l’exemple même de ville historique — à mon sens — gâchée par une urbanisation moderne peu soucieuse de s’intégrer au préexistant. Enserrant les églises anciennes s’étalent des places de marbre froid caractéristique de l’urbanisme des années 90, fermées par des immeubles de verre et béton carrés de la même période, prolongées par des rues commerçantes sans âme jalonnées de boutiques de verre couardemment enfoncées sous des galeries et colonnades du même marbre, comme honteuses d’exhiber leur vulgarité mercantile à deux pas d’oeuvres architecturales âgées de plusieurs siècles.

Sans l’être, ces rues évoquent une impression de sale, comme les rues marchandes de Lyon. Le marbre poli par les pas des badauds, jauni par le temps, étend sa patine fatiguée à toute la rue. Quelques vieux murs subsistent, gauches, presque conscients de leur subite impertinence dans cette nouvelle scène contemporaine. Des parkings délimités à la va-vite se faufilent entre d’innombrables chantiers dont on ne sait s’ils sont en cours ou à l’abandon. Ça et là, le bitume posé dans la précipitation cède à une racine et érupte au coin d’un trottoir, parachevant le tableau d’un centre-ville mal fagotté, précipité, inapte à faire sens et à durer, et la cohue mise à part, l’ensemble ne m’évoque que Marseille en guise de comparaison. Vaguement amer d’avoir payé 1€ de parking pour une balade décevante, je me remets en route pour la suite de l’Adriatic Highway. Vite, échapper encore à l’urbanisme.

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Photo qui n’est pas de moi, montrant à peu près le meilleur de Zadar. Pas ouf. J’ai vraiment eu le sentiment que les monuments sont tolérés et que le reste s’agglutine autour un peu n’importe comment.

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Autre photo pas de moi, montrant une des “bonnes” rues, finalement assez quelconque. Sans doute pas un hasard si 99% des photos de Zadar sur Google sont prises de loin ou de haut.


Comme évoqué plus tôt, la suite de la Jadranska Magistrale est globalement moins excitante, principalement en raison du relief qui s’aplanit. Cette partie de la côte est en effet plate, jusqu’à peu près Šibenik, si bien que la route devient immédiatement ponctuée de petites communes balnéaires. Au lieu d’aménager les communes à proximité de la route, reliées à celle-ci par des voies d’insertion et de dégagement, comme cela se fait ailleurs dans un souci de ne pas gêner la fluidité de la circulation, nous sommes confrontés au système que nous connaissons bien, où les communes s’approprient une route nationale (de plus de 600km) comme leur artère commerçante.

Ce qui n’est pas un problème en soi au début de cette partie de la route, où la saison touristique est globalement terminée, en devient rapidement un à mesure que l’on progresse toujours plus vers le sud, notamment passé Split, où la saison n’est pas terminée. Sur une route conçue pour du 90, on se trouve petit à petit devoir tomber à 30 ou 40 tous les deux kilomètres, puis à rouler au pas derrière des colonnes de camping-cars allemands (une infestation !), avec très peu d’opportunités de doubler en sécurité (c’était avant que j’apprenne à doubler comme les scooters sur la côte amalfitaine :mrgreen: ). Le décor, quant à lui, ne faillit pas à l’impersonnalité rassurante de l’ambiance vacancière balnéaire, et conséquemment ne propose rien de particulièrement intéressant.

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Ambiance Côte d’Azur où pullulent les “apartmani” et “sobe” (chambres) à louer

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La Magistrale offre tout de même quelques segments agréables du calibre de la première partie, mais comme des pauses au fil d’une progression de plus en plus lente, et par moments franchement pénible. Si vous voulez vraiment profiter de cette route, tenez-vous en à Rijeka-Jasenice, est mon conseil.

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Je passe ainsi la majeure partie de la journée à évoluer sur le tracé, plein sud. Les segments flirtant avec la mer sont plus rares, car la route plonge plus fréquemment dans les terres. Je prends soin de contourner les grandes villes, comme Šibenik. Juste après, je retrouve des virages et un peu de littoral, mais aussi des enfers vacanciers comme Primošten. Passablement écoeuré et un peu agacé par l’ambiance Côte d’Azur que je n’avais ni souhaitée ni anticipée, je ne m’arrête pas à Trogir, dont la vieille ville semble pourtant absolument charmante. Trogir n’est pas une grande ville, essentiellement un dortoir à pavillons, j’aurais sans doute apprécié la balade. Il est probable que la majorité des vacanciers se rend à Split, quelques kilomètres plus loin, vraie grande ville au front de mer prototypique des villes balnéaires urbainement conscientes, sans doute agréable si vous parvenez à l’atteindre au bout d’une heure de point de patinage dans des rues engorgées. Ouste.

Passé Split le relief redevient accidenté et pentu, mais au lieu de raréfier les communes, celles-ci s’étalent plus volontiers le long de la route et non perpendiculairement à elle, si bien qu’elles forment un ruban continu limitant la circulation au rythme des camping-cars cherchant une place de parking. La chaleur devient pénible, les centre-villes bouchonnent… Je m’arrête à Omiš le temps d’une mousse et d’une consultation de la carte.

Située à l’épicentre de saisissantes stries rocheuses et sur l’embouchure d’une rivière souterraine, Omiš offre un décor déjà divertissant par lui-même. Evidemment balnéaire, la ville est toutefois un peu moins gâchée que d’autres, assez petite pour être parcourue à pieds en une heure ou deux, et finalement appréciable. On n’échappe malheureusement pas à la route (nationale, je le rappelle) qui fend le centre-ville de sa circulation ininterrompue, ni aux boutiques de merdes à touristes ou aux stands ambulants, mais les rues perpendiculaires sont assez calmes pour être agréables. Je marche le long de la jetée, puis le long de la plage, davantage intéressé par la géologie environnante que par les aménagements urbains. Il y a une certaine similitude avec Annecy, l’une sur un mode lac, l’autre sur un mode mer, avec un point commun majeur, l’absence de vent, donc une chaleur rapidement pesante. Grimper au sommet d’une des stries rocheuses eût certainement offert un climat plus vivable et de belles opportunités photo.

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En grand : https://i.imgur.com/RY2u97g.jpg
La baie d'Omiš côté nord…


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En grand : https://i.imgur.com/hIMYPQy.jpg
… et l’autre côté de la jetée, orienté sud


Mon plan d’éviter les marécages urbains étant clairement tombé à l’eau pour aujourd’hui, je poursuis toujours plus au sud, portant mon attention sur le relief, qui reprend de sa vigueur montagnarde, et sur les subtils changements d’atmosphère urbaine qui jalonnent ma progression vers le sud, toujours plus loin de mon environnement familier. Les falaises pressantes me réjouissent, les communes se raréfient, tandis que je m’approche de l’île de Hvar.

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Le ferry pour l’île de Hvar se prend à Drvenik, minuscule bled côtier situé grosso modo à mi-chemin de Split et de Dubrovnik, au pied d’une falaise brutale. Conformément à ma politique du “on verra bien”, je n’ai réservé aucun ticket pour le ferry, je n’ai aucune idée de comment ça se passe. Qu’importe, j’ai le temps.

Je suis les panneaux et commence par me rendre immédiatement sur le quai. Le ferry s’y trouve. Un type me fait signe, me demande mon ticket. Je n’en ai pas, où est-ce qu’on l’achète ? La bicoque derrière moi, à l’entrée du quai. Un autre type me fait signe, me demande si je prends ce ferry-là. Je n’en sais rien, je dois d’abord acheter un ticket. Le quai est vide, et — aaaah, d’accord, le ferry est plein, les passagers me regardent, se demandant sans doute si ma réservation retarde leur départ. Non, je suis juste arrivé par hasard au dernier moment. Le ferry part tout de suite, me dit le second type, le suivant est à 19h30 (dans plus de 2h). Pas de problème mon pote, je peux attendre. Je me rends à la bicoque tandis que le ferry commence à barboter. Puis je vais m’affaler sur un tabouret de bar, ayant laissé la bécane près de la voie de parcage (n’ayant pas compris que je pouvais déjà m’y garer…). :gloup

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Posé, mais la journée n’est pas finie, oh non…


À l’opposé de la plupart des communes côtières traversées aujourd’hui, Drvenik est extrêmement tranquille et épargnée par les aménagements habituels. Immédiatement cet endroit m’est sympathique. Après une mousse et un casse-croûte, je pars déambuler sur le modeste front de mer. Au-delà de la plage de galet se succèdent sans surprise des terrasses de restaurants, mais l’ensemble est respirant au lieu d’étouffant. On peut marcher autour des terrasses, et la place, limitée, empêche de pouvoir accoler 20 tables sur chaque terrasse. C’est tout à fait l’échelle d’occupation que je peux encaisser. La promenade profite d’une faible fréquentation et en dépit d’une plage occupée (mais non bondée) et de restaurants modérément occupés, l’environnement sonore est reposant. Pas de cris de la part de plagistes ; pas de conversations beuglées entre deux bouchées par nécessité de se faire entendre par-dessus les conversations voisines. En somme, une vive impression de civilité, qui ne m’aurait pas tant frappé si je n’étais pas si familier de la négligence et de l’incivilité omniprésentes sous nos latitudes.

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En grand : https://i.imgur.com/AdvAnwj.jpg
Baie de Drvenik, avec le quai tout au fond


Je poursuis mes déambulations, chinant dans les petites rues, réjoui de voir des chats lézarder un peu partout, épiant les visiteurs avec leur condescendance naturelle. Quittant la promenade, à l’opposé du quai du ferry, celle-ci se réduit à un chemin aménagé sur les rochers trempant dans la mer, deux mètres en contrebas. Des bancs ça et là invitent à prendre le temps d’apprécier le coucher du soleil — qu’on ne voit guère car les nuages s’assombrissent. Quelques parasols durables sont fixés à même la roche, indiquant des petits espaces de plage pour une ou deux personnes, émincés le long de ce bout de côte. Au lieu de chercher à compacter un maximum de clientèle sur l’espace disponible, et malgré la présence d’une vraie plage de galets à 50 mètres, la commune a fait l’effort de rendre accessible ce coin inhospitalier en misant sur l’espace vital confortable plutôt que sur le taux d’occupation.

Pour compléter les aménités inattendues de ce coin de roche, un minuscule bar surgit, en contrebas du chemin, installé sur quelques mètres carrés de béton coulé entre les rochers. Une minuscule table, deux petites chaises délicatement disposées sur le carré de béton plat, face à la mer que l’on peut presque toucher du pied, forment la charmante vignette d’un petit confort à la fois osé et tout en retenue, pensé en termes de qualité et non de quantité, d’unicité et non de multiplication. Il n’y a en tout que trois tables, une seule était occupée. Un endroit, une époque de l’année où il n’est pas besoin de se bousculer pour trouver à s’asseoir à un établissement littéralement sans places.

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Encore une fois, je dois au hasard une des meilleures visites de mon voyage. Je ne cherche pas à remplir la checklist des incontournables, comme mentionné en introduction. Dans la grande majorité des cas, j’estime qu’on voit maintenant plus, mieux et plus en détail depuis chez soi que sur place, et en ce qui me concerne, il m’est impossible de profiter d’un lieu si je suis pris dans un flux incessant de gens. Tout à l’opposé, j’accorde nettement plus de prix à ces moments anodins, ces découvertes imprévues, ces petits coins de régal à côté desquels il est si facile — et courant — de passer. J’en ai raté d’innombrables, j’en raterai plein d’autres, mais de temps en temps je mets pied à terre et découvre la coïncidence d’un lieu, d’un temps, d’une géographie, d’une population qui dégage un caractère qui me séduit. Et peu importe que cet endroit soit touristique ou significant ; et même, en ce qui me concerne, ce sentiment est seulement potentiel à mesure que l’endroit semble quelconque, ne “paie pas de mine”. L’accumulation des marqueurs de valeur culturelle, historique, artistique, etc. ne coïncide pas à mes yeux avec la subtile qualité qui ne se dégage que de la rencontre fortuite de contingences saines. Et ce soir-là, à Drvenik, pour modeste et anonyme que peut sembler et être cette énième commune côtière, je ne me sentais pas plus étranger que si j’avais été chez moi.

Je devais donc au hasard géographique et à celui du timing d’avoir passé un peu plus de deux heures de reposante insouciance dans ce cadre sans prétention mais plus agréable que tout le reste de la journée. Pendant ce temps, la file d’embarquement s’était allongée. Le ferry à quai, on me signale un coin à l’avant, près de l’autre rampe. À l’opposé se gare l’autre motard, un gaillard en Versys 650 qui m’interroge aussitôt sur ma Transalp, car un de ses amis a la même. Permis A2, habitant de l’île de Hvar, il se présente comme Andrej et on commence à papoter moto. Il a envie de tailler la route pendant une ou deux semaines, mais n’arrive pas trop à se décider sur la destination ; évidemment, je le pousse à prendre une carte, pointer quelques repères et se lancer, sinon il risque de procrastiner éternellement. À mon tour je lui expose mon tracé ; il me déconseille, reprenant les recommendations qu’il a lui-même reçues, d’éviter de rouler solo en moto en Albanie. La médiocre réputation du pays en souffre davantage, mais le pourquoi du comment reste vague. Je note mentalement.

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Le ciel plus lourd qu’une Harley en duo

La traversée est courte, une petite demi-heure. Les nuages qui s’assombrissaient tout à l’heure sont maintenant d’un anthracite bleuté bien lourd, et des éclairs crépitent au loin, au nord. Possible que l’orage nous contourne, mais possible que non, commente Andrej. On descend du pont pour se préparer à débarquer. Il habite dans la ville de Hvar, à l’extrémité de l’île, et mon hébergement est à Pitve, passage obligé au bout de la seule route , assez sinueuse, qui traverse les 50 premiers kilomètres de l’île d’est en ouest, soit une heure de trajet d’après le GPS. Il est presque 20h. Il fait quasiment nuit, et l’orage persiste à nous ramper dessus. Andrej, qui connaît la route, ouvre la marche, et je le suis. Les premiers kilomètres délivrent le fun avec des virolos à tout va. Puis l’orage s’installe pour de bon et commence un ride, ma foi, assez épique pour moi.

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Débarquement en mode “allez zou !” à la suite d’Andrej, sur la gauche

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Accueillis sur l’île de Hvar par les festivités locales

Au centre, ma bécane et moi. Autour, la conjonction du meilleur et du pire : la nuit, l’orage, la route assez sinueuse sans le moindre accotement (ce que je ne voyais alors pas), Andrej qui connait la route et avance à bon rythme, et les locaux qui, comme un peu partout ici, te collent au cul (et te doublent) au mépris de toute considération des conditions de conduite. Pour le dire en un mot, quand je referai cette route en plein jour et sur le sec, ma première réflexion sera de me dire que si j’avais vu la route, je n’aurais jamais roulé à ce rythme dans ces conditions ! Alors parfaitement conscient du danger de l’émulation motarde, je décide sciemment de faire confiance à Andrej, qui roule sans traîner mais sans excès, et qui de toute évidence connaît la route. La circulation est presqu’inexistante car l’île est petite, pratiquement aucune habitation ne ponctue cette route et nous débarquons du dernier ferry. La moto ne me surprend à aucun moment, et les pneus ne font jamais défaut. Je fais confiance.

Il y a évidemment quelque chose de libérateur, d’exaltant à essorer la poignée dans ces conditions, au point que tout ce qui borde le point focal du regard devient immédiatement flou. Quelque chose d’esthétique aussi, dans la souplesse exigée par les conditions, dans l’opposition remise en jeu à chaque dixième de seconde entre le fragile équilibre du véhicule, l’attention soutenue du motard, et les conditions décourageantes. J’ai bien sûr déjà roulé longuement sous l’orage, mais le paramètre nocturne éclipsant la morne tristesse de la grisaille pluvieuse, il reste une sorte de précipité plus essentiel, plus pur du ride éprouvant. Enfin, c’était l’expérience de cette heure de roulage excitante et tendue, rapide et fatigante ; de l’extérieur ce n’étaient que deux motards sous la flotte.

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Accotequoi ?

Une fois à Pitve, on s’arrête une minute. Andrej admet que c’était un peu rapide au vu des conditions. J’essaie de me repérer pour trouver l’hébergement. On se salue, je passe devant. 100 mètres plus loin, épingle dans le village, je négocie tranquillement, cherchant mon hébergement des yeux, et subitement la roue avant glisse. Le grip revient aussi sec (si je puis dire), je lance mes hanches pour redresser et par pur réflexe force mes appuis de l’autre côté pour compenser de nouveau avant que la sacoche droite ne frotte à peine le mur de pierre qui a failli accueillir ma roue avant. Je m’arrête de nouveau 20 mètres plus loin, un peu paumé sur mon GPS. Effectivement, Andrej, c’est pas passé loin. Je crois voir la bonne rue, il repart en direction de Hvar. Par chance je sonne à la bonne porte, au milieu de la soirée, trempé, claqué. Encore une bonne journée bien remplie…

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Pollux026
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Re: [CR] Trois semaines vers l'Adriatique et la Grèce en Transalp 700

Message par Pollux026 »

Merci pour ce voyage que l'on découvre grâce à toi et ta prose bien sympathique. J'adore :respect
Vivement la suite :youpiii

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Qohen
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Jour 6 | Pitve - Sveta Nedilja - Hvar - Stari Grad

Message par Qohen »

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Pour explorer tranquillement l’île de Hvar, j’y passe la journée complète ; je ne reprends le ferry que demain matin. Au programme du jour, une rando improvisée en direction de la crête qui surplombe Pitve et sépare le village de la mer, côté sud. Ensuite, deux routes piochées chez dangerousroads.org, puis un tour à Hvar, à Stari Grad, et un retour pépère.

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Inspection de la sacoche qui a frotté hier soir. Eh bien, rien du tout, juste un peu de terre. On ne s’en plaindra pas !

Partant à l’improviste, sur les indications de ma logeuse qui me signale la piste à emprunter à pieds car non praticable en véhicule, je m’aventure gaiement. Non praticable, tu parles, c’est une belle piste en dur assaisonnée d’un peu de cailloux. Une belle piste d’apprentissage, même*. Je réfléchis à y traîner la meule après la rando

20 minutes plus haut, n’ayant aucune idée de ma direction (le soleil est encore trop bas), j’aperçois un panneau évoquant vaguement un point de vue. Je dis banco et bifurque ; le “chemin” est à peine une suggestion parmi les broussailles et la végétation bagarreuse de cet environnement rude. Plus je grimpe et plus la piste s’évapore en concept abstrait, avant de disparaître complètement, si bien que j’entreprends de couper droit et commence à grimper directement vers le sommet de la crête. Je m’érafle gaiement les mollets mais après une bonne grimpette, j’atteins la crête. Je crapahute sur la pointe de roche qui surplombe l’ensemble et découvre la roche locale, d’apparence déchiquetée et dont les arêtes saillantes sont parfaitement aptes me lacérer, dussé-je ripper et tomber dessus. J’achève l’ascension avec circonspection puis profite de la vue imprenable sur la petite île d’Otok Šcedro et celle, plus méridionale et plus vaste, de Korčula.

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En grand : https://i.imgur.com/zz5fpeo.jpg
De l’autre côté, Jelsa au loin et Pitve tout en bas, entre les reliefs

Je n’ai pas tenté cette piste avec la moto, ayant complètement oublié qu’elle était répertoriée par le site, mais j’aurais dû !



Bon, tout ça c’est sympa, mais on est venu faire de la moto, quand même. Pour accéder au versant sud de l’île, à partir d’ici, il faut emprunter le tunnel de Pitve**. Cet ouvrage, creusé dans les années 60 pour acheminer de l’eau mais finalement inutilisé, a été gracieusement ouvert à la circulation en dépit du fait qu’il n’a jamais été “conçu” pour ça. Officiellement interdit aux motos, il déroule 1,4 km de bitume humide et perforé, couvert d’une trouée de pierre sans le moindre éclairage, sur une seule, étroite, voie de circulation. Un feu régule l’accès à chaque extrémité. Le site en rajoute un peu, en vrai ce n’était pas si terrible que cela. Seul, peut-être. La Yaris qui me précédait transpirait peut-être, car à deux reprises elle a soigneusement raclé sa portière contre la pierre. Astuce : si vous l’empruntez, roulez sur le tiers gauche ou droite, car les nids-de-poule (plaques d’égout ?) sont alignées pile au centre de la chaussée. Et il y fait quand même vraiment noir, donc enlevez vos Ray-Ban avant d’entrer.

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Bienvenue dans l’antre de l’Enfer

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Débouchant sur le versant sud, un perron de quelques épingles vous accueille avec une vue plongeante sur la mer. La route vire à l’ouest et se déroule à flanc, longeant la mer, surplombant villages côtiers, plages et vignes. Joueuse juste comme il faut, la route ondule agréablement ; et comme cette partie de l’île est réduite et assez isolée, la circulation est faible.

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Je m’arrête pour la traditionnelle mousse, à Ivan Dolac. Comme partout ailleurs sur ce versant de l’île, pour trouver la plage il suffit de prendre perpendiculaire à la grand’route et de se laisser descendre au point mort jusqu’à toucher l’eau avec les pneus. Le bar local m’offre sa terrasse vide, en surplomb de la plage, plus accueillante que le barman qui peste contre sa machine à pression qui persiste à baver autour des verres. En me garant, je me suis fait une autre de ces remarques que la confrontation à un environnement différent a tendance à susciter. En France, je suis couramment stressé par la conduite en agglomération, et chercher une place à l’improviste monte la pression d’un cran. Élève modèle, je n’ai pas le réflexe d’inclure les trottoirs dans mes recherches… Mais ça va venir !... en tous cas ici…

À ce stade du voyage, je n'y pense même plus et m’avance sans arrière-pensée jusqu’au plus près de ma destination (souvent pour y trouver un parking moto, d’ailleurs). Peut-être est-ce dû à la réglementation plus laxiste, plus flottante ? À l’absence certaine de maréchaussée dans ces villages détournés ? À la culture du scooter omniprésente, qui ne sait même pas que les interdictions de stationner existent ? Un peu de tout cela, et peut-être aussi l’assimilation des situations de conduite, rencontrées à longueur de journée depuis plusieurs jours, qui désenfle progressivement l’intimidation de l’inconnu jusqu’au systématique “on verra bien” décomplexé. Cela peut sembler évident à beaucoup, mais ce n’est pas ainsi que je fonctionne, et malgré plus de 30 000 km de route en tous sens, dont un voyage jusqu’au Portugal, j’ai apparemment besoin de me “remettre dans le bain” pour acquérir cette décontraction.

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Plage à droite, bar terrasse à gauche, qui dit mieux ?

Bref, j’arrive comme une fleur et me gare lestement à un mètre de l’escalier menant à la plage, sous le panneau d’interdiction de stationner, et je file siroter ma mousse. De nouveau, pas de cris, pas de foutoir, un peu de vie sociale et pourtant, ça me repose. Une GS ridiculise mes progrès et va se poser sur le quai, devant la plage, sous le panneau marqué “FKK” (prenez note : “FKK” désigne les plages nudistes).

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Les essentiels : soleil, plage, houblon



J’entame la suite de la route, qui est en fait une piste***. Deuxième vrai off road ! Réservée aux “courageux et aventureux” d’après dangerousroads.org, la piste est effectivement spectaculaire. Du point de vue du risque, soit le site en rajoute un peu, soit je suis, reconnaissons-le, courageux et aventureux. Certes la piste est couverte de cailloux, elle est à pic, sans la moindre protection, et parfois étroite. Quelques flaques pimentent l’expérience. Mais globalement, même un bleu comme moi s’est éclaté sans avoir eu le loisir d’avoir la trouille de tomber dans le vide. Plus que craint, j’ai adoré me lancer sur cette piste moins glissante que le col de Mali Alan, ravissante par le panorama qu’elle étale sous mes yeux, et plutôt fun à rouler. J’y ai croisé deux jeunes sur un vieux scooter, donc clairement, si un 50cc avec 120 kg sur le dos peut le faire, c’est que ce n’est pas si terrible que cela. Veste rangée sur le porte-bagage, prêt à en découdre, sourire au lèvres, je cherche le grip à droite, à gauche, je manœuvre autour des flaques, je dose le frein arrière en position debout (pas évident), je teste les réactions de la bécane, bref je m’éclate et j’apprends.

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Saisissantes falaises (le fisheye de la GoPro les fait pencher plus qu’en réalité…)

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… mais elles sont quand même réellement tordues

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Cette petite sensation de liberté

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De retour sur la route, la “vraie” route qui traverse du côté au versant sud, reliant Stari Grad à Hvar, je me sens d’autant plus à l’aise. Découvrir sa monture dans des conditions difficiles confère, cela va de soi, un surcroît de facilité en conditions idéales. Mon aisance sur la TA franchit un nouveau cap et j’accélère gaiement sur les quelques kilomètres de route de côte avant Hvar, gardant toujours à l’esprit que sentiment de maîtrise n’équivaut pas toujours à maîtrise réelle. Je m’autorise quelques excès de vitesse modérés (je n’ai que 60 ch, hein) en dépassant les Vespas de location très communs, semble-t-il, sur le littoral croate. Bien que nous partagions l’usage du deux-roues, je ne suis pas sûr que les jolies jeunes femmes en Vespa et lunettes de soleil, robe et cheveux au vent, concèdent à se faire accoster pour parler pilotage. Je remballe derechef mes réflexions de célibataire dans les sacoches et essore la poignée. Bitume impeccable après une parenthèse off road, moto déchargée donc allégée, tracé fluide, mer, soleil… à cet instant précis, énorme plaisir.

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Pourchassant les demoiselles en Vespa



Je déboule en trombe aux abords de la vieille ville de Hvar. Comme tant d’autres villes côtières de la Croatie actuelle, Hvar a été maintes fois disputées par les empires successifs, et comme tant d’autres, elle conserve ce pot-pourri d’inspirations culturelles variées qui confèrent au littoral croate, avec ses propres variations du nord au sud, une patte esthétique un peu familière mais toujours également exotique.

Les innombrables ruelles médiévales aux détails florentins s’étagent à flanc de colline, développant un dédale de petits escaliers et de terrasses dérobées dans lequel je me perds volontiers. Un restaurant dispose sa “terrasse” sur une de ces ruelles élevées, remarquablement isolée du bruit malgré qu’elle se trouve qu’à une vingtaine de mètres, horizontalement, du front de mer. Un balcon massif en pierre, soutenu par un mur formant en dessous une sorte de petite galerie, ponctue un bâtiment orné, plus haut, de petits balcons ouvragés. Les pavés élimés témoignent de l’âge de la ville. Sous ledit balcon se cache une librairie assoupie. En face de la vitrine, accolés au mur, deux bancs de pierre. Plus haut, au bout d’une petite dizaine d’escaliers et de niveaux, j’arrive à un palier carré, fourni dans un coin d’une alcôve sans prétention, simple aménagement d’un confort spartiate, qui propose l’essentiel : de quoi s’asseoir et la vue plongeante sur la jetée, point de fuite du regard dirigé par les façades successives.

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Je vais mêler quelques photos pas de moi parce qu’elles sont meilleures

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Le front de mer, balnéairement aménagé, multiplie les terrasses de restaurant et l’on n’échappe pas aux boutiques inutiles, mais je dois admettre que dans l’ensemble, c’est assez contenu pour ne pas me faire fuir à toutes jambes. Des chats se laissent amadouer ça et là. La promenade est agréable et la fréquentation, bien qu’omniprésente, raisonnable : sous ces latitudes il fait encore chaud mais nous sommes maintenant au cap de mi-septembre.

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Les arcades d’inspiration orientale voisinent avec le clocher pointu plus occidental, et les palmiers soulignent à leur tour la juxtaposition d’ambiances distinctes. Siégeant sur la colline, la forteresse, bien conservée, veille solidement sur la baie et ses quelques îlots en arrière-plan. À l’opposé de Zadar, aucune verrue architecturale ne vient scandaliser l’harmonie visuelle de l’ensemble. Abstraction faite des touristes et de quelques yachts mouillant à quai, la vieille ville conserve admirablement bien l’atmosphère de comptoir maritime cosmopolite sans âge, héritier des sédiments de l’histoire, de l’Antiquité jusqu’à l’Empire ottoman et la Renaissance.

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De Hvar je me rends à Stari Grad, l’autre ville de l’île, située sur le versant nord, au fond d’une baie. Après avoir repris la route de côte, je passe la langue de piste d’où j’ai déboulé trois heures plus tôt, et franchis la crête pour descendre dans une vaste plaine fertile, responsable de la fondation très ancienne de Stari Grad. En effet, Stari Grad (qui veut simplement dire “vieille ville”), anciennement Pharos pour les Grecs de sa fondation, serait la plus ancienne ville de la Croatie actuelle.

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Sise donc entre la plaine fertile qui s’étend derrière elle et la baie reculée ouverte vers le nord-ouest, Stari Grad s’agence autour de son port. Rigoureusement préservée, son atmosphère paisible est ponctuée par un unique clocher qui seul dépasse les grosses maisons à deux étages entourant le port, dont certaines sont teintées de jaune ou rose pâle, ou d’un rouge framboise. La pierre abonde. Quelques très vieilles maisons, meublant des rues secondaires, ont pris au fil des ans la même teinte que les pavés de la rue, accentuant l’aspect organique et cohérent d’un décor urbain où rien ne jure (une rare occurrence). La végétation et les volets contrastent par touches avec la pierre, chaque palette soulignant l’autre, les détails enrichissant la composition sans l’étouffer. Le regard, fait assez rare à mon sens pour être relevé, n’est pas saturé.

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L’oreille non plus n’est pas agressée. La fréquentation est faible en cette fin de journée — ce qui n’empêche pas de croiser deux françaises qui tournicotent autour de mon banc, plus préoccupées de leurs photos Instagram et de l’horaire de leur bus que d’absorber l’atmosphère du lieu. Les terrasses de restaurant sont peu nombreuses et contenues. Je ne crois pas avoir entendu parler allemand ; ça, c’est surprenant. L’endroit est-il naturellement un peu négligé des touristes, nettement plus présents à Hvar ? Si tel est le cas, j’estime que Stari Grad y gagne largement. La pression humaine est si peu perceptible qu’approchant du centre, et du port, ne trouvant pas l’habituelle barrière physique et morale entre le centre préservé (comprenez : touristique) et le reste de la ville, j’ai prolongé au pas tout le long du quai, sans croiser de voiture, sans me sentir gêner qui que ce soit (il me semble), résolvant mon indécision devant tant de place en me garant tout au bout du quai.

Depuis que j’ai quitté l’Italie, je suis agréablement surpris par l’absence quasi totale des stigmates de l’incivilité et de l’impolitesse qui sont monnaie courante dans la moindre ville d’importance en “Europe supérieure”. Il règne, sitôt que je mets pied à terre, cette dimension si essentielle à la qualité de vie et pourtant si vulgairement négligée par l'urbanisme moderne : le calme.

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Stari Grad, un peu plus que Hvar, donne vraiment l’impression d’avoir trouvé un équilibre entre vie locale et espace vital : la promiscuité habituelle des centres-villes historiques permet quand même ici à tout le monde de pouvoir se déplacer sans se marcher dessus (et de se garer n’importe où sans gêner qui que ce soit). Cette démonstration de modération et de retenue est intellectuellement reposante après les habituelles dérives de la politique du “toujours plus”. Et en retour, ne me sentant pas agressé par l’”opprésence” d’autrui, je retrouve le plaisir d’être un atome dans ce volume urbain, d’être un parmi tous plutôt qu’un contre autrui. C’est donc avec un léger soupir que je reprends la route de Pitve à la tombée du jour.

Il y a de quoi traîner ses pneus un peu plus longtemps sur Hvar. Il est possible que la péninsule au nord-ouest de Stari Grad, traversée par une piste, soit ouverte à la circulation. Je réfléchis au programme de demain attablé à un petit restaurant caché entre les maisons de Pitve. Malgré son isolement, ce restaurant se targue de pratiquer, à ma surprise, des prix plus français que croates. Décidément…

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On y est bien mais on le paie


*https://www.dangerousroads.org/eastern- ... -road.html
**https://www.dangerousroads.org/eastern- ... pitve.html
***https://www.dangerousroads.org/eastern- ... -road.html

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Vizou
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Re: [CR] Trois semaines vers l'Adriatique et la Grèce en Transalp 700

Message par Vizou »

Pleins de souvenirs qui reviennent...(italie, slovenie...) et surtout l'envie à présent de découvrir cette superbe cote adriatique...Merci Qohen !
la vieillesse c'est quand on peux plus rouler en transalp!!

lna
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Re: [CR] Trois semaines vers l'Adriatique et la Grèce en Transalp 700

Message par lna »

:popcorn Merci-merci pour ce superbe CR.

cematin
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Re: [CR] Trois semaines vers l'Adriatique et la Grèce en Transalp 700

Message par cematin »

magnifique ce road trip merci

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varaboliot
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Re: [CR] Trois semaines vers l'Adriatique et la Grèce en Transalp 700

Message par varaboliot »

Très bon récit . :bravo
Avec le regard d'un jeune gars qui n'arrive pas en pays conquis.
Merci pour tout ces petits détails d'une vie quotidienne hors de nos frontières.

Finalement ..sont bien les p'tits jeunes en Bonette.. :lol:


:vieux
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Jour 7 | Hvar - Sveti Jure - Cavtat - Herceg Novi

Message par Qohen »

Merci pour vos commentaires ! Ça motive parce que c'est pas fini :lol:
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1. Hvar

De bonne heure je reprends l'unique route qui lie l'ouest de l'île à Sucuraj, la commune à la pointe est où accoste le ferry. 50 kilomètres, 1h15 d'après le GPS, et le ferry décolle (si je puis dire) à 8h30. Tranquille... j'y serai en 58 minutes.

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Je découvre donc en journée la route sur laquelle j'ai tartiné deux jours plus tôt dans des conditions qui invitent au plaid devant la cheminée plutôt qu'à la moto. Ça virole, ça je m'en souviens. Par contre, la chaussée qui coupe net sans le moindre accotement, c'est une découverte. Et effectivement, au risque de me répéter, si j'avais débarqué en journée sous l'orage, je n'aurais pas roulé partout aussi vite que nous le fîmes avec Andrej. J'ai parfois même la curieuse impression d'être plus lent sur le sec et en plein jour que sous l'orage en pleine nuit ! Au-delà du danger immédiat si un local déborde sur ta voie tandis qu'il rédige un tweet, la route est agréable, joueuse et rapide. À peine deux ou trois hameaux la ponctuent, si bien qu'on peut vraiment enchaîner les virages et lignes droites sur interruption sur toute la longueur. De temps à autres on aperçoit la mer entre deux buissons, baignée dans la lumière claire du soleil matinal.

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Faut pas être trop audacieux sur la corde…

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Lorsque j'arrive à Sucuraj, sur la voie de parcage, pensant être parmi les premiers, je constate que certains se sont levés bien avant moi. Je laisse la bécane dégueulante d'affaires pas rangées (casque, blouson, gants, etc.) et vais récupérer mon ticket. J'avale un petit déjeuner basique dans le temps qu'il me reste en marchant le long du port de cette sympathique petite ville. Le trajet maritime se fait sous des auspices autrement plus favorables qu'à l'aller…

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2. Sveti Jure

J'ai remarqué hier que dans ma hâte à tracer au sud, j'ai raté le sommet Sveti Jure ("Saint George"), au niveau de Makarska. Je rebrousse chemin une petite heure pour entreprendre une des routes* les plus fun de tout le voyage. Mais d'abord, pour y accéder, il convient d'emprunter la D512** qui mène au début "réel" du massif de Biokovo, dont Sveti Jure est le pic. Route de montagne honnête, elle vaut surtout pour les vues de la mer Adriatique qu'elle offre à foison.

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Les gros cailloux au fond, c’est ce qu’on va grimper

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À mi-hauteur du massif, la route est coupée par un poste de passage affublé d'une barrière. Le van qui me précède fait demi-tour. Je m'adresse au bonhomme dans sa cabine : quelques euros pour emprunter la route, et faites attention, les conditions météorologiques peuvent très vite changer là-haut, soyez prudent. Je sais, c'est bien pour ça que j'ai envie d'y aller ! Ticket en poche, caméra qui tourne, je me lance.

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Pour le coup, le site n'exagère pas. Tout y est : le bitume progressivement défoncé, la chaussée étroite, le vide adjacent abstraitement défendu par des glissières rouillées, des trous, des bosses, quelques patches de gravillons ou terre, un brouillard à couper à la machette, des animaux sauvages et ce qui m'a semblé le plus dangereux dans ce festival : d'innombrables flaques de crottin promptes à vous faire perdre l'avant au sortir d'un virage aveugle. Mais au-delà de tout ça, une fois les conditions intégrées et le risque accepté... QUEL FUN ! La route est tellement contorsionnée entre les roches, serrée à flanc, montant et descendant au fil du relief, que j'ai l'impression de me faire mon petit Nürburgring Nordschleife à moi. Les obstacles se jettent à toi et ça devient un jeu de négocier sa trajectoire au travers, comme dans un jeu vidéo. Il fait froid, je vois de moins en moins le paysage, je manque de me prendre un cheval, mais qu'est-ce que je m'amuse.

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Et en vidéo (montée intégrale, descente clippée) :

NB : à l'heure où je poste la vidéo n'est pas finie de traiter par YouTube, la HD n'est peut-être pas dispo.

Pendant la majeure partie de l'ascension je profite quand même du paysage. Les conifères laissent place à la roche nue, et lorsqu'on quitte le flanc littoral pour rouler du côté intérieur du massif, qui regarde vers les terres, on est saisi par l'isolement immédiat que l'on ressent. Comme de coutume sur la côte adriatique, on passe des plages aux Alpes en quelques kilomètres. Les glissières peintes en jaune, doublées de cordes de retenue et de piquets jaune et noirs, donnent le ton. On a le sentiment que la "route", maintenant réduite à une voie de circulation, ose à peine se faufiler entre les rochers. Quand la vue se dégage, c'est une succession de petites vallées rocheuses et pelées, partiellement couvertes d'herbe pâle et de buissons acariâtres. (J'imagine que) le silence est quasi total, et je culpabilise un peu de déchirer la quiétude à coups d'échappement. Personnellement, j'aime beaucoup ce genre de décor très austère et inhospitalier. J'aime qu'accéder à un lieu spécial demande un peu d'effort. Plus on grimpe, plus on croit s'enfoncer profondément dans cette mer rocheuse qui s'étend aussi loin que porte le regard (ou aussi loin que le permet le brouillard qui descend...).

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Après toujours plus de passages étroits et quelques raidillons, l'arrivée au sommet, maintenant enveloppé de brouillard, s'avère anticlimatique. On est bien à 1726 mètres d'altitude, mais impossible de le confirmer de visu. Et il ne fait même pas si froid... À mon arrivée, il n'y a qu'un randonneur sur place. Après avoir pris les photos qui s'imposent, je vais fouiller autour du relais radio/télévision. Un chemin étroit le contourne par la gauche. Derrière le relais, je tombe sur une petite chapelle, celle dudit Saint Georges, droite et digne dans son indifférence séculaire. Apparemment, la petite chapelle qui était au sommet depuis 1646 a été déplacée à son endroit actuel, un peu plus bas, pour faire place aux antennes. Juste en face de la porte la pente est immédiate, comme tout autour du petit parking qui, avec un panneau couvert de stickers, constitue l'entièreté du sommet. Dieu merci, pas de buvette à la con (elles se trouvent nettement plus bas sur la route).

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Tête de champion

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La petite chapelle Saint George, dissimulée derrière le bordel de télécommunications

Juste avant de partir, les nuages se lèvent un peu, m'autorisant gracieusement à faire quelques photos supplémentaires.

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Manœuvrant en marche arrière sur le parking en dévers, je perds pied à droite, perds l’équilibre et tombe la meule. Baptême du sol effectué ! Parmi les quatre personnes présentes sur place, un couple de jeunes Français (décidément) vient m’aider à la relever : tombée dans le sens de la pente, la Transalp est donc légèrement sous le plan horizontal. Une fois qu’elle repose sur la béquille, j’inspecte le flanc : pas la moindre égratignure. La sacoche de crashbar a tout supporté, et c’est à peine si seule la bombe de lubrifiant de chaîne a été cabossée.



La descente est aussi fun que l'ascension. La vue plus dégagée permet d'apprécier encore mieux le paysage qui décidément me plaît énormément. Tandis que je m'amuse dans mon coin en moto, d'autres ont opté pour le buggy de location.

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En grand : https://i.imgur.com/S7uuYkl.jpg

À mi-chemin de la sortie du massif, je m'arrête de nouveau au skywalk, lui aussi maintenant libéré du brouillard. Le skywalk est orienté ouest, vers la mer, et offre une vue imprenable sur le littoral et, sous mes bottes, plusieurs centaines de mètres de falaise. Le skywalk est installé à 1228 mètres au-dessus de la mer, ce qui rend l'expérience assez titillante. Le reste de la descente n'est pas en reste, car à mesure que le ciel se dégage et que le soleil revient, je suis assailli de panoramas spectaculaires sur la côte et le massif qui plonge à pic. Vraiment une route exceptionnelle qui valait largement le petit rebours.

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En grand : https://i.imgur.com/PtcNlpi.jpg



3. Adriatic Highway

Je retrouve la Jadranska Magistrala pour le dernier segment, jusqu’à la pointe littorale de la Croatie. Peu de temps après Drvenik, la Magistrala change radicalement de caractère. Elle dévie de nouveau vers les terres pour contourner Ploče, son grand port industriel adossé au canal, et la vaste plaine cultivée qui s’étend sous la rivière Neretve. Brutalement l’ambiance est continentale et urbaine, où se mêlent stands de produits locaux sur le bas-côté, poids lourds sales, cultures en plus ou moins bonne santé. Un autre visage de la Croatie, en contraste avec le littoral immaculé.

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Une autre ambiance

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De l’autre côté de la plaine, la route remonte à flanc de colline rocheuse au fil de ses longues courbes habituelles, et repasse du côté du littoral un peu avant la bifurcation au niveau de Komarna.

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La plaine de Ploče à droite…

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… les lacs de Baćina à gauche

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En approche du pont Pelješki



Initialement je devais coller au littoral et mettre le pied en Bosnie-Herzégovine. J’avais une liste de petits endroits à visiter, comme Počitelj, Neum, Mostar, etc . Malheureusement, pour la seconde fois je me laisse emporter par la route, et je file droit sur le pont Pelješki tout neuf qui contourne le littoral bosnien en passant par une presqu’île. Le pont, magnifique, offre un beau segment, suivi par une route fluide et rapide le long de la presqu’île, étirée dans le creuset formé par deux crêtes à droite et à gauche.

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La sensation d’espace, vivifiante et rendue dramatique par l’effet de perspective des lignes de crête latérales, n’est pas sans évoquer, de nouveau, l’imagerie américaine des grands espaces. La route, neuve, bordée d’accotements tout frais que vient ponctuer une seule aire de repos, grande, vide, aux marquages bien nets et dépourvue de toute installation, contribue à une atmosphère exotique dans son genre. Se superposent à la fois l’agrément de l’aménagement neuf et impeccable, et le sentiment qu’il manque des éléments de confort familier (une station-service, etc.), formant ainsi dans mon esprit le vague fantasme d’une route nouvellement tracée à travers un paysage vierge, à la frontière du monde connu. J’aime les routes neuves, est-ce étrange à dire ?

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Le seul paramètre qui vient tempérer mon plaisir est le vent à décorner les bœufs qui me secoue sans interruption depuis que j’ai quitté le pont. Vent latéral, bien entendu, sinon ce n’est pas drôle. Une ou deux fois la moto fait un écart d’un mètre et je manque de frotter la glissière. Je me tasse derrière la bulle et reste perplexe à la vue d’un couple en duo qui me double lestement comme si le concept de vent n’existait même pas. Malheureusement ce vent, loin d’être une exception, n’est que l’avant-propos de celui qui m’accompagnera plus tard dans le voyage.

Au bout de la presqu’île, je rejoins le continent un peu au-dessus de Doli, et retrouve l’Adriatic Highway. Le relief de nouveau accidenté pousse la route au bord de la mer pour les quelques kilomètres avant Dubrovnik. Plus j’avance vers la pointe de la Croatie, plus je prends la mesure de la distance parcourue, et restant à parcourir.



4. Pas Dubrovnik, mais Cavtat

Dubrovnik, la fameuse Dubrovnik, était sur ma liste. Sa vieille ville historique, ses monuments, les châteaux, églises, etc. Et son inondation de touristes. De tous les points d’intérêts listés sur mon calepin, Dubrovnik est, je le sais maintenant, le plus touristique. Je ne l’avais pas du tout anticipé, et malgré qu’on était mi-septembre, à l’instant où j’ai bifurqué de la nationale pour me diriger vers la vieille ville, j’ai eu un mouvement de recul. Des rues jonchées de voitures, des cars, des parkings réglementés à foison, et des gens, des gens, partout… Sans parler du confort de visite, c’est plutôt à mes affaires que j’ai pensé, car avec une certaine masse de touristes rôdent quelques spécimens peu scrupuleux. Pour la première fois j’estimais trop risqué d’abandonner mes affaires au milieu du passage et du brouhaha ; quant à un coin plus tranquille, à supposer qu’il existât, la muraille de la vieille ville étant directement ceinte par une route très fréquentée, il eût fallu se garer plus loin. Autant à Skofja Loka je n’avais aucune crainte, autant ici je ne le sentais pas. Sans mettre pied à terre, je suivis ladite route, pris dans un bouchon, puis remontai sur la nationale, direction la prochaine étape…

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La végétation et les odeurs me rappelaient le sud du Portugal

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Tandis que je progresse vers le dernier quart de la Magistrala, le décor devient progressivement moins agressif, plus boisé. Les montagnes ne quittent jamais le champ de vision, surplombant la route bordée sur sa droite par la mer, interminable. Cela fait maintenant quatre jours que je roule essentiellement sur la même route, colonne vertébrale de mon exploration de l’Adriatique. Je trouve qu’une route si longue (mettons de côté les autoroutes, beaucoup plus régulières), plutôt rare en Europe, fait particulièrement bien naître le sentiment de distance. Au lieu d’innombrables bifurcations et intersections, dont l’accumulation finit par mentalement disparaître, c’est le temps nécessaire pour parvenir au bout qui finit par frapper. C’est de se dire qu’après tant d’heures et de kilomètres, je ne suis pas encore sorti de cette route. Parallèlement, la première semaine se termine, et si, pris de panique, je voulais subitement faire demi-tour, j’en aurais pour trois jours d’autoroute. Il y a un moment, quand on part faire de la route, où un déclic mental s’opère et, peu importe la distance réelle, on se dit : “ça y est, je suis loin.”

Peu après Dubrovnik, je fais halte par hasard à Cavtat pour me restaurer, car j’ai la mauvaise habitude, quand je voyage, de sauter un ou deux repas par jour. Du coup parfois, je fatigue un peu. De la côte, deux bouts de terre s’avancent dans la mer et forment une sorte de pince, encerclant une petite baie de quelque centaines de mètres de diamètre. Cavtat, qui repose sur le creux de cette pince, est une autre de ces sympathiques villes côtières entre le village et le point de chute balnéaire, offrant les aménités d’une ville sans en subir (à mon goût) les inconvénients. Ne nous y trompons pas, la moitié des maisons de ville sont des locations saisonnières ; et plusieurs complexes hôteliers se répartissent les badauds, mais avec la délicatesse de se cacher au milieu des bois ou au bord de l’eau, du côté extérieur à la baie. Ainsi cette dernière, moins vandalisée que le littoral côtier proche, reste agréable et à peine défigurée.

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Les palmiers sont plus nombreux qu’à Hvar mais la densité de restaurants sensiblement la même. Pas de verrue architecturale pour briser l’harmonie des bâtiments de pierre. Visiblement sans grande valeur culturelle, Cavtat est sans doute très, très calme hors saison, et à cette date, comme à Hvar la fréquentation est modérée. Si les restaurants successifs sur le front de mer et les boutiques de souvenirs ont tendance à rappeler le tourisme industriel dont se repaissent d’autres villes, les ruelles beaucoup plus tranquilles et à peine touchées par ladite industrie ne sont pas sans agrément. Je remarque, attablé en terrasse, que la circulation est faible, bien qu’une voie déroule tout le long du front de mer. Au bout de la promenade, excentré du mouvement, un monastère fransiscain sied au milieu des palmiers dans un amusant contraste d’imageries culturelles (pour un Français). Dommage qu’il faille mentalement effacer le parking qui le côtoie pour apprécier l’atmosphère de l’endroit. Une commune agréable, sans prétention, un poil maladroite dans son aménagement mais heureusement limitée par le manque de place, qui l’a sans doute empêchée de vendre son âme au touriste allemand dégénéré.



5. En route pour le Monténégro

Je reprends la route pour le dernier segment en Croatie. Après Gruda, je pénètre de nouveau dans cette zone de bordure, le dernier kilomètre avant la frontière, où il n’y a plus rien que des arbres autour de la route. Comme un écran de chargement entre deux niveaux d’un jeu, ce court espace est indécis — à peine le temps d’y réfléchir qu’apparaît la douane. Enfin une vraie douane, qui ouvre sur un autre territoire, et non une région de l’empire de Bruxelles. Le ciel se couvre et quelques gouttes commencent à tomber. Je traverse, comme un flottement, la non-zone entre les deux pays. Après les formalités dont j’avais depuis longtemps perdu l’habitude, je passe la douane monténégrine et tandis que le jour s’éteint, je quitte (provisoirement) l’Union Européenne.

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Plein gaz en direction de la baie de Kotor…


*https://www.dangerousroads.org/eastern- ... oatia.html
**https://www.dangerousroads.org/eastern- ... -road.html

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Qohen
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Jour 8 | Baie de Kotor - Lovcen - Stari Bar - Ulcinj

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1. Herceg Novi

Hier soir je suis arrivé à Herceg Novi, première agglomération de la baie de Kotor, située immédiatement après la frontière. Ce qui frappe en arrivant au Monténégro, c’est que celui-ci est visiblement moins prospère que la côte croate. Les aménagements urbains y sont semble-t-il plus âgés ou moins soignés. Je me rends directement à mon hébergement, à flanc de colline, un peu après la vieille ville médiévale. Une fois installé, je sors passer le début de soirée attablé en terrasse d’un minuscule bar populaire, observant la vie locale, écoutant la langue, appréciant l’atmosphère. Sans surprise, les chats et chiens circulent en liberté et viennent réclamer une caresse ou deux. Dans la rue, malgré la circulation ponctuelle mais régulière des habitants, tout est calme. Pas de cris, pas de voiture ou scooter au rupteur.

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Au bout visible de la promenade, la vieille ville

Le lendemain matin, autour de 6h30, je sors faire un tour au bord de la baie. Les rues sont excessivement calmes, mais le café en face de mon bar est déjà ouvert et sa clientèle bien installée. Je descends marche après marche dans la fraîcheur matinale et déboule sur la promenade “Pet Danica”. Sur 5 kilomètres alternent plages, bars et quais de plaisance dans une sorte de longue marina. L’orientation touristique d’Herceg Novi est immanquable, bien que quelques rues plus haut, on trouve plutôt l’image des villes des Balkans, un peu vieillottes et pauvres en finition. Quelques ruines ponctuent la marina, dans un contraste surprenant entre, par exemple, les pierres épuisées du Fort Citadela et l’hôtel Plaža fermé, visiblement abandonné, relique d’un style affreusement années 90, maintenant sale et couvert de végétation. À l’exception de quelques joggers et mouettes, la promenade est déserte. À quelques détails on remarque qu’effectivement, les années 90 débordent leur allocation jusqu’à aujourd’hui. L’atmosphère de plage après la fête est aussi bien présente.

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Une vision bizarrement post-apocalyptique

Le jour se lève jaune derrière le mont qui cache Kotor à l’est. L’air est clair, vibrant de promesses. La petite ville médiévale et son fort bien conservé sont plein de charme, particulièrement à cette heure, où les pizzerias et autres commerces anachroniques sont fermés. Ces rues pavées, imbriquées les unes dans les autres au moyen de terrasses et d’escaliers qui ne quittent jamais le champ de vision, sans discontinuité de surface, contribuent à une atmosphère intimiste, presque douillette, qu’accentuent les maisons en pierres ou colorées. Je quitte l’une des plus charmantes villes médiévales du voyage et remonte le million d’escaliers jusqu’à mes affaires, puis entame le tour de la fameuse baie de Kotor, sur sa non moins fameuse route, segment de la Jadranska Magistrala.

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2. Baie de Kotor et Perast

La baie de Kotor, ou Bouches de Kotor, est un surprenant réseau de quatre golfes reliés naturellement entre eux et encaissés par de petites montagnes. Herceg Novi domine le premier golfe, le plus proche de la mer ; Tivat le second, avec son port ; Risan le troisième ; enfin, Kotor sied tout au fond du dernier golfe. Au niveau du passage le plus étroit, quelques dizaines de mètres à peine séparent les deux itérations de la route qui fait le tour complet de la baie. Perast, pressée entre le flanc raide de la montagne et la baie, regarde droit dans la direction de ce passage. Entre Perast et ce passage dépassent deux minuscules îlots, dont l’un accueille une petite église catholique. La langue de terre qui fait face à Herceg Novi et protège la baie de la mer, perpendiculaire à l’axe de l’étroit passage, possède une route qui en fait le tour littéralement au bord de l’eau, sans protections. Répertoriée par le site*, elle n’est pas au programme de la journée car j’ai choisi une autre route bien sympa après Kotor.

D’Herceg Novi je progresse donc en direction dudit passage étroit qui “ouvre” les deux petits golfes, les plus reculés. Jusqu’à Jošice le littoral est urbanisé mais agréable, grâce au décor naturel grandiose, à l’absence (merci) d’immeubles et à l'heure matinale. Où que l’on dirige le regard, les montagnes s’élèvent. Le début d'automne n'est visible qu'à quelques barbouillis rougeâtres sur les flancs boisés d'un vert intense. Natif d’Annecy, je ne suis pas si dépaysé ; ce qui pique mon intérêt est plutôt l’échelle de la configuration géologique. J’ai l’impression de voir le bassin annécien rapetissé sur un tiers de sa surface actuelle. La rive d’en face n’est jamais en arrière-plan et les détails visibles par la proximité créent une sorte de dissonance entre les petites distances directes et le temps nécessaire pour faire le tour par la route. D’Herceg Novi à la sortie de Tivat, sans quitter l’Adriatic, il faut compter une petite heure pour une vingtaine de kilomètres, et à peu près l’équivalent en sus pour faire le tour de la langue de terre et de sa route pataugeoire.

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À partir de Jošice, les flancs de montagne plongent si abruptement dans la baie qu’il n’y a de place que pour la route et quelques hameaux. La route est impeccable, ondulant juste assez pour être amusante sans demander une concentration soutenue. Le paysage est impressionnant de majesté et de densité. La lumière matinale du tout début de l’automne baigne la composition dans un atmosphère de quiétude presque alpine.

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Je m’arrête à Perast pour le petit-déjeuner. Perast, minuscule commune située donc dans le prolongement du passage vers l’“arrière-baie”, est interdite à la circulation pour les visiteurs : un parking obligatoire à l’entrée du village débarrasse les rues de 99% des véhicules (motos comprises). Etant donné la taille du village, je n’y vois personnellement aucun inconvénient et que des avantages, notamment celui de préserver un certain calme, surtout quand le moment y est propice. Extrêmement préservé, sans la moindre trace d’un bâtiment “moderne”, Perast n’est faite que de pierres et de ruelles. J’y suis pratiquement seul à cette heure, déambulant le long du front de mer, dans un véritable tableau Romantique. Les énormes montagnes, nerveuses et abruptes, chauffées par le soleil, plongent dans le golfe intimiste comme les mains de géants, à la fois intimidants et protecteurs. L’étroit passage, au milieu de l’horizon, nervuré du passage de quelques embarcations privées, s’ouvre comme la promesse d’un autre monde, d’un par-delà ce petit monde.

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En grand : https://i.imgur.com/1emEboS.jpg

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De l’autre côté, les vieilles pierres semblent indifférentes au passage du temps. Le village s’éveille dans un rythme d’une autre époque, entre des murs qui auraient à peine daigné laisser entrer quelque détail moderne (un hôtel, une caserne de pompiers, un tabac–presse), mais que le “monde moderne”, brutal, vulgaire, ne serait pas parvenu à atteindre au fond de cette baie. Il est certain qu’en plein saison l’ambiance doit être un peu différente ; ici et maintenant, dans un silence presque absolu, adossé aux forêts vaguement rougeoyantes, je goûte la suggestion d’un style de vie (et d’un cadre !) qui ne manque pas d’évoquer l’imagerie nostalgique de jours plus sains et plus simples.

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Je m’attable au seul café ouvert — vide —, jouissant du luxe de pouvoir choisir très exactement la table que je veux. Je teste le “Kotor cream cake” (sorte de millefeuille) en me disant que si j’avais un peu plus de temps, je serais bien resté un jour de plus dans la baie. Il y a certainement de quoi randonner et jouir de vues fantastiques depuis les montagnes. Je remonte ensuite le village en passant par les ruelles parallèles, croisant la route de nombreux chats, pour contourner les tout premiers groupes de touristes retraités en voyage organisé… Timing parfait : il est temps de décoller.




3. Kotor

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Quelques kilomètres plus loin j'arrive à Kotor. L'imposante muraille de la vieille ville médiévale donne le ton. Amarré au quai, de l'autre côté de la route, l'énorme paquebot donne lui aussi le ton. La longue rangée de motos garées immédiatement devant les portes de la vieille ville complète l'harmonie. C'est d'ailleurs un point positif que j'ai relevé à plusieurs reprises : les motos et scooters ont très souvent un parking à eux clairement désigné, spacieux et placé au plus près du point d'intérêt. Typiquement, ici, les motos sont garées sur la place devant la muraille (la place est large, elles ne gênent personne).

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Motos à gauche, entrée à droite, nickel

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L'impressionnante muraille de Kotor, que l'on peut apercevoir monter en zigzag jusqu'au sommet de la colline sur la droite

Ici aussi, la saison est encore en cours, mais à la différence de Dubrovnik, la fréquentation est assez modérée et n'empêche pas de visiter tranquillement. J'enfile mon chapeau et mon sac à dos et me faufile à travers la muraille. Les places et rues pavées se fondent dans les murs de pierre d'un blanc passé, similairement à Herceg Novi. De petits détails Renaissance côtoient des éléments d'architecture du XXe siècle. Les ruelles sont charmantes, et si les boutiques d'artisanat et de souvenirs sont nombreuses, leur apparence générale ne détone pas avec l'esthétique globale. On note tout de même ce petit manque de finition assez commun à la région, qui laisse traîner des câbles divers, pendant un peu partout contre et entre les murs ; ainsi que nombre de climatisations externes. On perçoit du coup une curieuse impression de sale en haut et propre en bas, les rues étant impeccables, alors qu'on est plutôt habitué chez nous à l'inverse.

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Une placette surplombée par la montagne

Par ailleurs, si la cathédrale Svetog Tripuna est immaculée, l'église de Sainte Marie, qui ne bénéficie pas de plusieurs restaurants sur sa place, est franchement cradingue. Il appert donc, globalement, que si les sites historiques et touristiques sont généralement bien préservés, l'investissement ne va pas jusqu'à entretenir rigoureusement les objets d'intérêt. Peut-être est-ce une question de moyens, car comme déjà mentionné, le Monténégro me semble moins prospère que ce que j'ai vu de la Croatie.

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Ça fait un peu tache... si je puis dire.

Kotor fut annexée à l'Empire romain, détruite dans la foulée des invasions mongoles, envahie par les Turcs et brièvement annexée par le premier Empire français. Je repensais alors à ce qui rend cette région si intrigante, à la fois familière et exotique. C'est vraiment cette dimension flottante, aux facettes multiples, aux inspirations les plus diverses qui me séduit et a motivé cette (première) exploration des Balkans. Si on en doutait, les nombreuses ruines de forts, murailles, châteaux sont là pour rappeler à notre esprit les conflits incessants qui ont secoué ces contrées-bordures.

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En grand : https://i.imgur.com/BJ9Ww9R.jpg

Au fil de ma visite, cherchant le café parfait, je tourne à plusieurs coins de rue qui s'amincissent, jusqu'à tomber sur un café-restaurant terré dans une impasse, comptant trois tables en bois, l'une d'elle légèrement encaissée dans une alcôve dans laquelle est taillé un banc. Voilà mon café parfait, en plein centre de la vieille ville mais parfaitement isolé du mouvement et des conversations. Le temps de méditer sur le fait que je suis en train de prendre mon pied, libre, si loin de chez moi.




4. Lovćen

Immédiatement au sortir de Kotor, j'emprunte la route P1** qui mène à Cetinje et bifurque à mi-chemin sur le mont Lovćen. La P1 compte 30 épingles, et le segment appelé "Kotor Serpentine" est une véritable échelle de 16 épingles à flanc, à peine bordées de blocs de béton. La route offre une vue spectaculaire sur Kotor, toute sa baie et la mer Adriatique au loin. Il vaut mieux ne pas avoir le vertige car ça monte raide.

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Je garde les panoramas pour la descente ;)

La route étroite laisse place, quand la montagne se fait moins raide, à une belle route neuve déployée en longs virages rapides. L'altitude monte vite (le premier sommet est à 1660 mètres), j'ai même l'impression, en mettant poignée en coin, que la pépette manque d'oxygène. Le paysage est du même calibre que dans le parc du Biokovo : rocailleux, grandiose, à la végétation épaisse mais aléatoirement répartie. L'absence totale de village etc., à l'exception d'un restaurant quelque part, permet de profiter d'un paysage visuellement quasi sauvage, ajoutant encore à sa majesté de relief trop austère, trop beau pour être domestiqué.

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Le passage pour accéder au "petit" sommet, Jezerski Vrh ("vrh" signifie sommet), coûte 2€. Sitôt que l'on quitte la route P1, on retrouve une bonne vieille route de montagne, propre mais étroite et sans marquage. J'aime cette transition qui annonce toujours le début du plus sympa. Il reste quelques kilomètres de montée au fil desquels — la vue, encore ! — se dévoile un magnifique paysage de montagne. Encore une fois, la côte adriatique... de la mer à la montagne en une heure.

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J'arrive au mausolée de Petar II Petrović-Njegoš. 100 mètres avant l'entrée, la route est jonchée de voitures. Maintenant que j'ai acquis la désinvolture motarde, je m'avance tranquilou et c'était la bonne décision, car les motos sont autorisées à se garer sur la petite place qui précède l'accès au mausolée. De toute évidence, l'Adriatique n'est pas encore sous le joug de la haine européenne des véhicules fun. Pour la petite histoire, Petar II Petrović-Njegoš était (je lis Wikipedia) un poète, philosophe et prince régnant ayant dirigé le pays au XIXe siècle ; personnellement ça ne m'intéresse largement pas autant que la vue que promettent les 461 marches à gravir pour accéder à sa bicoque !

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Pour 5€ (à ajouter au 2€ de la route), l'accès est un peu cher, mais une fois en haut... C'est simple, depuis le sommet on voit pratiquement tout le Monténégro. L’abrupté du relief, l’absence de montagne équivalente à proximité permet de jouir d’une vue exceptionnellement dégagée. On aperçoit un bout de la baie de Kotor, le second sommet un poil plus élevé, évidemment occupé par une tour de télécommunications, la mer Adriatique, le mont Lovćen, le lac de Skadar (prochaine étape), le massif du Durmitor au nord et pour qui a de bon yeux, encore plus loin. Un endroit impressionnant. Et impressionnant surtout est le silence absolu. Il y a pas mal de touristes, mais vu la grimpette requise, peu se donnent la peine de monter jusqu'ici, la plupart préférant le restaurant ou la vue depuis la placette.

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En grand : https://i.imgur.com/HWEAEsr.jpg
La vue côté sud-ouest : la baie de Kotor tout à droite, l'Adriatique derrière le sommet jumeau, et tout à gauche du chemin, le lac Skadar, partagé avec l'Albanie


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Le lac Skadar à droite, et à gauche mais non visible, le massif du Durmitor, au-delà duquel finit le Monténégro


POV sur le chemin à l'entrée du mausolée

En redescendant, je reprends la route la P1 dans la direction de Cetinje, car les longs et grands virages continuent le long d’un tracé très fun à rouler et peu fréquenté. Le bitume virevolte contre les roches et au milieu des bois, alternant sweepers, épingles, gauche-droite ; la route est clairement prisée des amateurs de conduite car j’y croise à deux reprises des contrôles au radar mobile. Je découvrirai les jours suivants que la police monténégrine est très assidue pour imposer les limitations de vitesse.

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À l'approche des lacets, la route redevient étroite et sinueuse, se frayant un chemin entre les roches puis à flanc de falaise.

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Je reviens sur la Serpentine et ses vues spectaculaires pour un deuxième tour de manège, quand au milieu du parcours, la circulation stoppe. Je progresse jusqu’à deux cars qui bloquent la vue. La route étroite est à sens unique. Dix minutes d’attente, et un des chauffeurs me fait signe ; je parviens tout juste à me faufiler entre le premier car et les blocs de “sécurité”. Avec les supports et sacoches, la moto n’est pas exactement mince. Deuxième signe, je manœuvre une chicane pour me faufiler de l’autre côté du deuxième car. Je ne suis pas sûr de ce qu’il se passe : sur le moment j’ai pensé que le car était en panne, mais maintenant je pense plus simplement que les voitures qui montaient et les cars qui descendaient ne voulaient pas céder le passage aux autres (vu que les cars ne vont certainement pas reculer en montée sur une route aussi étroite et dangereuse, en direction d’une épingle, la question est pourtant vite réglée !). Quelques minutes plus tard, je me trouve donc en train de descendre lentement, au point mort, sous le nez d’une voiture qui se coltine 200 mètres en marche arrière.

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Je vous laisse imaginer le bordel quand les cars s'invitent à la fête

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En grand : https://i.imgur.com/3bmGiz6.jpg
Vue de la baie de Kotor depuis la Serpentine





5. Jadranska Magistrala

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De retour sur la Magistrala, je jette un oeil à la prochaine étape, Budva. Sa vieille ville, située littéralement au tout début de la ville actuelle, eh bien je la rate complètement. On y accède apparemment depuis quelque part au centre, depuis les grands axes, et de toute façon elle est apparemment assiégée d’aménagements balnéaires et de plages. D’ailleurs, en arrivant à Budva, j’ai été saisi par la vision d’une immense station balnéaire, plantée de grands hôtels en verre et béton, de SUVs clinquants, d’immeubles résidentiels au style “Balnéaire Passe-Partout #6” et d’une Magistrale devenue une 6 voies. Le parfait contre-exemple, donc, de Hvar, Cavtat, etc. Il va sans dire que je ne me suis pas arrêté. Le seul point d’intérêt du coin est Sveti Stefan, quelques kilomètres en aval sur la Magistrala, minuscule hameau installé sur un non moins minuscule îlot rocheux à vingt ou trente mètres de la plage. Dépassant cette zone déplorable zone urbaine, je poursuis ma route.

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Budva, une autre ambiance...

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Sveti Stefan depuis le point de vue sur la Magistrala

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Les inscriptions en cyrillique sont beaucoup plus fréquentes




6. Bar et Stari Bar

Je profite des derniers segments à flanc de montagne. Petit à petit, l'atmosphère urbaine se teinte d'orient. La juxtaposition d'églises catholiques, orthodoxes et de minarets parfois dans la même ville surprend. En traversant Bar, j'aperçois l'énorme et brillante église orthodoxe serbe de Saint Jean Vladimir, construite il y a moins d'une décennie et troisième plus grand temple orthodoxe du monde (rien que ça !). L'imposant édifice, immaculé, mêle architecture orthodoxe et style oriental. Les murs blancs font ressortir les toits dorés et quelques détails bleu brillant. La superposition d'éléments culturels si différents, dans cette région, met à mal les catégories habituelles et garde les sens en éveil.

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Difficile de rater ce monument

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N'ayant rien mangé de la journée, je dîne à 17h près de la marina de Bar. Installée sur l'une des rares plaines du littoral, Bar est du coup très étalée. On y trouve les installations spaciophages difficiles à implémenter ailleurs : stade, grands axes routiers, vaste porte industriel. Néanmoins, la ville n'étant pas si dense que cela, malgré un petit centre immeublé, il en ressort une impression que les infrastructures sont surdimensionnées par rapport à son échelle... puis on se dit que finalement, cette proportion est nettement plus vivable que nos gros centres-villes. Est-ce le résultat d'un développement planifié, ou d'une croissance démographique plus faible qu'anticipée ? L'un dans l'autre, et si l'on est forcé d'admettre que l'étendue des installations urbaines rend sans doute la circulation pédestre plus longue, la circulation véhiculée est facile et aérée.

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Des rues aérées et circulables...

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... mais l'urbanisme à l'américaine hérite des mêmes problèmes : des distances peu pédestres

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Se déplacer et se garer sans pression

Il y a de la place pour se garer absolument partout. La ville est très boisée car les immeubles, bien éloignés les uns des autres, laissent la place à une rue, de l'espace pour se garer de chaque côté, de vrais trottoirs et plusieurs mètres pour planter des palmiers. Enfin, son plan d'urbanisme aussi dénote quelque chose d'américain dans son quadrillage rigoureux. Une ville récente, culturellement pauvre a priori, mais qui n'est pas sans intérêt ni caractère particulier du fait de son développement inhabituel. Une ville où l'on respire, qui, malgré sa taille, ne m'a étonnamment pas déplu.


Si Bar se montre si récente et neuve, c'est que la Bar originelle, Stari Bar ("vieille ville"), est quasiment détachée de sa métamorphose moderne. Située à flanc de montagne, touchant une des zones pavillionnaires de Bar, la vieille ville est tout l'envers de la nouvelle : petite, médiévale, authentique (oui, j'ai lâché le mot), intimiste. J'ai juste le temps d'y faire un tour avant la dernière étape du jour.

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Les minarets médiévaux ne sont pas sans leur charme propre

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En grand : https://i.imgur.com/p7Rj0Dp.jpg

Là aussi, les contrastes sont stimulants : le fort médiéval veille à la fois sur les églises, cathédrale et mosquées. Le Monténégro est-il la proie de violences religieuses entre Catholiques, Orthodoxes et Musulmans ? Je ne le sais ; ce que je vois en tous cas, c'est qu'aucune suggestion de tension ne vient troubler la tranquillité des centres que j'ai traversés. Rien ne me fait penser, à ce moment de mon voyage, que les trois confessions ne peuvent vivre ensemble en bonne intelligence. Garant donc la Transalp au pied d'un minaret, à l'heure du crépuscule, je m'aventure dans la grand'rue de Stari Bar.

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Je suis immédiatement séduit par l'atmosphère accueillante de la vieille ville. Rien ne choque le regard, et si l'on excepte encore une fois les câbles électriques tendus un peu partout au-dessus de la tête, pour un peu cette rue n'aurait pas d'âge. Les pierres apparentes ancrent l'aspect médiéval, tandis que les murs blancs ou beiges à la charpente et aux volets en bois sombre contrastent le tableau. Sur les câbles électriques et aux façades, des ampoules de lumière jaune s'allument progressivement, créant une ambiance chaleureuse avec une suggestion de festivité. L'hôtel local s'étage à l'arrière-plan et domine, plan par plan, la rue de ses fenêtres et terrasses. Tout est fait dans des tons de rouge (tuiles), marron (bois sombre), gris (pierres) et beige (murs).

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Sur l'étroite rue pavée, quelques tables et chaises, des boutiques artisanales et pour touristes (mais intégrées visuellement dans le style environnant), parfois de petits balcons d'où, prenant un café, on aurait l'impression d'être attablé dans la rue elle-même. À la faveur du soir tombant et des lampions qui s'allument, j'ai ressenti un vif réconfort. Je ne sais trop comment, ce tout petit centre-ville historique est parvenu à exprimer une atmosphère réconfortante et protectrice, qui malgré ma courte visite reste parmi mes plus insaisissables et marquants souvenirs ; il est seulement regrettable, comme ailleurs, que soit négligée cette petite étape de finition.

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7. Ulcinj

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Le soleil éclabousse d'or la montagne surplombante, et je chevauche une dernière fois pépette en direction d'Ulcinj, dernière ville avant la frontière albanaise. Large avenue vertébrale plantée de palmiers et bordée de commerces, avec un giratoire central pavé, guère d'immeubles mais plein de combos commerce-appartements de un ou deux étages flanqués de balcons, Ulcinj décline le thème sur une variation encore différente. A priori nettement plus méditerranéenne, l'ambiance est aussi plus animée malgré que nous sommes un dimanche.

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Je trouve mon hébergement, un studio chez le particulier, avec une immense terrasse offrant une vue large et plongeante sur la baie et le fort médiéval d'Ulcinj. Malgré l'animation lors de mon arrivée, à 21 heures tout est calme. Ici non plus, pas un cri, pas un pénible en scooter, pas d'abruti au rupteur. Peu après, un bref appel à la prière retentit. Le contraste avec la Croatie, ou même la baie de Kotor, est frappant. Les rues évoquent immédiatement une atmosphère turque ou plus globalement orientale, ce qui n'étonne pas quand, en écrivant ces lignes, je lis sur Wiki qu'au long de son histoire Ulcinj fut plus souvent musulmane que chrétienne et ne fut reprise aux Turcs qu'au XIXe siècle. Sa population est d'ailleurs largement majoritairement albanaise ; comme quoi, même sans passer la frontière j'aurai traversé un peu d'Albanie. Sur ce, il est temps de conclure cette longue journée.

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*https://www.dangerousroads.org/eastern- ... -road.html
**https://www.dangerousroads.org/eastern- ... kotor.html

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Re: [CR] Trois semaines vers l'Adriatique et la Grèce en Transalp 700

Message par varaboliot »

Merci pour ce nouvel épisode.
Quel beau travail .!
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Re: [CR] Trois semaines vers l'Adriatique et la Grèce en Transalp 700

Message par ZeDab »

varaboliot a écrit :
15 oct. 2022, 19:04
Merci pour ce nouvel épisode.
Quel beau travail .!
:respect
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Pas mieux à dire que Vara :respect
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Jour 9 | Lac Skadar - Monastère d'Ostrog - Parc du Durmitor

Message par Qohen »

Un petit chapitre pour le goûter du dimanche !
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1. Ulcinj

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Tôt le matin je vais marcher vers la plage. La petite baie d'Ulcinj est très urbanisée : les blocs d'appartements couvrent le flanc de la colline jusqu'à la promenade, colline trouée par une dépression perpendiculaire au littoral, le long de laquelle s'étire l'artère principale de la ville. En violent contraste avec l'architecture blanche et années 2000, aromatisée d'un style balnéaire quelconque, le fort petit et compact se dresse d'un bloc au milieu de la plage. Ulcinj est une des plus vieilles villes de l'Adriatique, ayant été fondée au Ve siècle avant J.C. (ce que son apparence actuelle ne suggère absolument pas). Le château, ou ce qu'il en reste aujourd'hui, est lui-même vieux de deux millénaires. Au Moyen-Âge, les Ottomans prirent la ville et la contrôlèrent plus de 300 ans, d'où l'héritage turc et musulman encore plus évident en plein jour.

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Les rues silencieuses, que parcourent quelques âmes matinales, dégagent cette ambiance méridionale qui me fait plus penser à Marseille qu'au reste de la côte adriatique. Etalée en pentes de degrés divers, Ulcinj s'axe autour d'un réseau de grandes rues alignées de commerces et de palmiers. Propres, les rues ont néanmoins cet aspect un peu "improvisé" dans leur aménagement, les petits commerces jouant des coudes pour l'espace de vitrine. À l'inverse, les quelques rues pavées apportent une touche de finition et de convivialité. Aucun bâtiment ne ressemble à un autre, ce qui donne une sorte de joyeux bazar. Les minarets ont remplacé les églises. À mesure que je descends vers la baie, les rues s'amincissent. Très peu de cafés et boulangeries sont ouverts, mais je trouve un café terrasse sur la promenade pour assouvir mon besoin de petit déjeuner. La terrasse, à l'étage, permet de profiter de la vue sur le fort.

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De ce fort il reste essentiellement les murailles et un musée, hôtels et restaurants occupant le reste de la surface. Le monument est donc en accès libre, car il n'y reste plus grand-chose d'historique. Néanmoins, la "réhabilitation" du site n'est pas décevante : tout est construit en pierre et conserve une cohérence esthétique appréciable. Les ruelles et escaliers conservent une atmosphère médiévale. Les terrasses qui s'étagent et s'imbriquent les unes dans les autres (j'adore) possèdent une certaine cozyness. J'espère trouver un café ouvert, mais étant donné la distance à pieds du centre-ville, c'est peu probable. Il n'y a en effet pas de café-bar dissocié d'un restaurant : le site, visiblement, vit essentiellement le soir.

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2. Lac Skadar

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Coucou !

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Bifurquant vers le nord, je prends la direction du lac Skadar. Plus grand lac des Balkans, il est partagé entre l'Albanie et le Monténégro. Ayant décidé de contourner l'Albanie, je m'approcherai donc au plus près de ce pays pour passer le col qui sépare la mer et le lac, offrant une vue à 360° sur les deux étendues d'eau. La route, de rapide et lascive, devient progressivement plus étroite, défoncée et raide. Devant moi se dévoile la crête, parfaitement simple, régulière et lisse. Une crête à 45° nettement délimitée, presque trop rudimentaire. La vue s'étend à mesure que je monte, jusqu'au col et au point de vue Štegvaš.

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À l'arrière-plan, la mer Adriatique

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En grand : https://i.imgur.com/gsr9Hoo.jpg

De là, la vue embrasse quasiment tout le lac. C'est un magnifique panorama sur un non moins superbe lac. De l'antenne de télécommunications proche, j'observe, dans l'alignement de la crête, l'immense plaine ponctuée de quelques collines qui marquent, en fonction de leur degré de bleuté, la distance qui se perd sur des kilomètres et des kilomètres. Du côté du lac, j'ai l'impression qu'on peut apercevoir la capitale Podgorica, à 40 kilomètres à vol d'oiseau... Petit point négatif, le changement d'ambiance culturelle s'accompagne d'une manifeste négligence de l'environnement. La poubelle locale déborde, des détritus jonchent le sol, et ce n'est que le début d'un tendance qui ne fera que s'amplifier avec mon progrès vers le sud.

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En grand : https://i.imgur.com/5eP8x6y.jpg
Vue plein est, donc en direction de l'Albanie


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En grand : https://i.imgur.com/B0Tmsv0.jpg
Panorama du lac Skadar depuis le point de vue Štegvaš


Je poursuis sur la route P16* qui longe tout le lac. Entre passages étroits et sinueux et vues splendides, la P16 s'avère extrêmement divertissante... et dangereuse. Plusieurs points de vue sont aménagés le long de la route, avec des plans permettant de se repérer sur les plus de 100 kilomètres de tour du lac. La progression n'est pas rapide...

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Sans commentaire

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Toujours s'attendre à tout

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L'ouest du lac est très marécageux

À hauteur de Virpazar la P16 s'achève sur l'E65 (dans la continuité de la Magistrala), qui trace quasi en ligne droite vers la capitale. Le relief montagneux laisse place à la rase plaine du flanc nord-ouest marécageux du lac. Cet immense marécage constitue l'essentiel du parc national qui abrite de très nombreuses espèces aviaires protégées. Le changement de décor est radical. Petit à petit, à l'approche de la capitale, le tapis boisé s'écaille en champs cultivés. Le Monténégro étant presqu'entièrement montagneux, il n'est pas surprenant que Podgorica fut fondée sur la seule plaine du territoire, où l'agriculture efficace est possible.

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3. Monastère d'Ostrog

Traversant Podgorica, je m'arrête à un concessionnaire moto pour une rapide vérification de la pression des pneus et du niveau d'huile. Bien qu'occupés, ils acceptent de me faire ça à l'œil, tandis que j'admire un Diavel Carbon 1200 neuf, presqu'incohérent dans cette banlieue aux routes élimées et aux bâtiments fatigués. Sans surprise, niveau et pression sont à l'optimal, aucune intervention n'est nécessaire. Mais impossible de rémunérer leur temps : ils insistent que ça leur fait plaisir de rendre un petit service à un voyageur. Je repense aux récits de voyages, rédigés ou filmés, qui m'ont inspiré : voyager seul, de façon précaire, octroie effectivement un capital sympathie qui favorise le contact et l'échange de coups de main.

Je quitte (provisoirement) Podgorica par le nord-ouest, en direction de Niksic, une des principales villes du Monténégro. Le relief redevient donc montagneux, et ma route, qui longe l'axe principal tracé au fond de la vallée, prend peu à peu de l'altitude. Puis la pente devient de plus en plus raide, jusqu'à muer en une véritable falaise, au début de laquelle sied, encastré dans la roche, le monastère d'Ostrog (du nom de Saint Basil d'Ostrog, archevêque serbe dédicataire du lieu).

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Le monastère est perceptible dans la falaise...

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... et clairement visible ici

Après quelques épingles** bien, bien serrées, je parviens au magnifique monastère. Effectivement litéralement encastré dans la roche, il surplombe toute la vallée en contrebas depuis sa fondation au XVIIe siècle. Il se compose en réalité de deux batiments, le premier, qui se distingue par son style tout en arches, abrite la plupart des chambres des moines ainsi que celles mises à disposition de pèlerins ; le second, plus austère, est davantage consacré aux rites.

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L'installation laisse deviner une forte fréquentation en pleine saison. Ce jour-là, tout au plus quelques dizaines de flâneurs sur le site, et l'accès est libre. Quelques escaliers à flanc de falaise mènent au second bâtiment, le plus ancien. L'endroit est cliniquement entretenu. Comme tous les sites religieux isolés, ce monastère dégage une atmosphère très contemplative. Tout le monde se fait discret. Une partie seulement du monastère est visitable (en tous cas en accès libre), mais suffisamment pour pouvoir apprécier les couloirs bas en pierre brute, ponctuellement ornés d'icônes orthodoxes dorées, en radicale opposition avec l'austère élégance de l'extérieur immaculé. Je me prends une nouvelle fois à rêvasser d'habiter dans un monastère. Je sors en jetant un oeil au-dessus de moi, vaguement appréciatif de la pesante falaise qui déborde au-dessus de moi.

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Un avant/après impromptu. Présage de la suite de la journée...




4. Le parc du Durmitor

Le temps persiste dans son indécision tandis que j'entame les deux heures de route en direction du massif du Durmitor, toujours plus avant dans mon exploration du Monténégro continental. Quelques rayons solaires percent à grand mal un maëlstrom de masses grisâtres qui ne me mettent pas tellement en confiance pour la suite.

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À la route fluide et rapide qui longe Niksic succède une belle route de montagne qui négocie son passage au travers de reliefs encore plus chaotiques qu'auparavant. Les quelques vallées sont comme des respirations où s'expose un aspect du Monténégro plus traditionel et montagnard. La région est si accidentée qu'elle est en fait riche en canyons. Je longe celui du Nevidio, assez réputé, pour arriver peu de temps après au pied du Durmitor.

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Le massif droit devant

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Ce petit massif s'élève brutalement comme un sommet alpin, bien qu'entouré par une plaine à l'est et par des canyons dans les trois autres directions. À regarder la vue satellite, on dirait que quelque chose ne colle pas : ces formations géologiques ne devraient pas être rassemblées...****** En dépit du ciel qui ne cesse de s'assombrir, j'entame la montée***. Très vite la température chute et je commence à trembler sous le blouson. En l'espace de quelques virages, selon la tradition monténégrine, l'ambiance change complètement et je me trouve effectivement au milieu de sommets alpins. La roche nue et froide perce à travers la pauvre converture végétale et les cuvettes répondent aux pics brutaux. Le ciel énervé ajoute à l'ambiance dramatique mais au prix d'un certain inconfort !

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Et bien entendu, la pluie vient de commencer à tomber. N'écoutant que ma fierté qui refuse de faire demi-tour après deux heures de route, je m'entête. Les quelques véhicules que je croise redescendent. Arrivé au col Prevoj Sedlo, duquel on peut admirer les deux vallées et, perpendiculairement, les deux véritables murailles rocheuses, je mets pied à terre, déballe mes sacoches, sort ma polaire et l'enfile en panique. Il fait TELLEMENT froid. Un chien-loup manifestement indifférent au concept de température flâne autour du petit parking de cailloux.

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La pointe de Stožina (1905 m)

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La vue est, en dépit des circonstances, impressionnante. Ce massif est si petit que d'ici, on en voit quasiment tout. Je prends quelques photos en vitesse et renfourche ma monture. À la vue de la route qui continue, et supposant qu'elle mène à un sommet ou refuge au lieu de redescendre dans la vallée, je décide malheureusement de rebrousser chemin.

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En grand : https://i.imgur.com/r5vkuS8.jpg

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En grand : https://i.imgur.com/VRZb0XO.jpg

C'est une de ces occasions où un léger manque de préparation me fait rater un point d'intérêt. Contrairement à ma supposition, la route descendait immédiatement, et cette descente n'était pas beaucoup plus longue que de rebrousser chemin. Mais surtout, immédiatement après cette descente se trouve le canyon de Piva, traversé par une route**** qui doit être un incroyable terrain de jeu ; et un peu plus au nord-est, le célèbre canyon de la Tara*****, plus profond canyon d'Europe, que, trompé par l'échelle de ma carte, je pensais beaucoup plus loin...

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Grosse ambiance




5. Le n'importe quoi

Chamboulé dans mes plans, pressé par le froid et la pluie, je commence à me laisser entraîner sans trop réfléchir. Je programme une route pour Thessalonique histoire de prendre le plus d'avance sur la transition avec la suite du programme. Je me mets donc à traverser, crois-je, la grande plaine légèrement vallonnée à l'est du massif. J'adopte un bon rythme pour tenter d'échapper à la pluie. La route, simple bande de bitume, est bien roulante. La campagne est pelée, les quelques habitations disséminées çà et là semblent désertes, bref, c'est l'ambiance alpine humide et morose.

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Je ne sais trop comment, sans doute grâce à TomTom, je reviens en fait rapidement sur la route P5 par laquelle je suis arrivé au Durmitor, pour bifurquer quelques minutes plus tard sur une départementale, la R-18, chouette route de gorges au demeurant. C'est à peu près à cet instant que mon niveau de carburant accapare mon attention. Je n'avais pas fait le plein avant de grimper le Durmitor. Ma jauge indique qu'il va falloir penser à faire le plein, et d'après le GPS, pas de pompe avant 40 kilomètres. Et j'ai déjà 300 kilomètre sur ce plein.

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L'angoisse commence ! "Attends, je voulais descendre et ça continue de monter..."

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Me voilà donc un peu au milieu de nulle part, dans l'arrière-pays monténégrin montagneux et quasi désert, il fait froid, la pluie rôde comme un charognard, et je suis sur la réserve. Loin de gagner un peu de temps sur la suite, je passe plus de 20 kilomètres de relative descente entre point mort et moteur coupé, pour économiser un peu d'essence. Parcourus entre 20 et 50 km/h (en descente !), lesdits 40 kilomètres ont été longs ! Et bien entendu le soir approche et au choix, soit je n'ai pas de 4G, soit il n'y a pas d'hébergement du tout dans le coin (ou cher). Eh, au moins la vue est sympa.

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Finalement, après la tombée du jour, je sors enfin des gorges et parviens à la station service, dans un froid engourdissant, avec un peu plus de 340 kilomètres au compteur, et quand même deux litres restants. Prenant le temps de rétablir la circulation sanguine dans mes extrémités, je fais le plein, enfile une couche supplémentaire, les sous-gants, prends un café et cherche un hébergement en plaine car il fait affreusement froid, et ce sera pire demain matin.

Après tout ça, je reprends donc la route pour Podgorica, à toute berzingue. J'ai au moins le petit confort de pouvoir emprunter les 30 kilomètres d'autoroute toute neuve et déserte, à ma connaissance la seule et unique autoroute du pays. J'enfile les kilomètres dans la nuit noire, guettant le moindre degré positif supplémentaire, et arrive enfin à l'hôtel, dans la banlieue de Podgorica, autour de 21 heures. Une douche, une caresse au chat et un immense plat traditionnel monténégrin plus tard, je m'effondre dans le lit.


*https://www.dangerousroads.org/eastern- ... 3-p16.html
**https://www.dangerousroads.org/eastern- ... trog2.html
***https://www.dangerousroads.org/eastern- ... sedlo.html
****https://www.dangerousroads.org/eastern- ... -road.html
*****https://www.dangerousroads.org/eastern- ... -tare.html
******
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À droite, ma route aboutissant au col du parc du Durmitor ; à gauche, le canyon de Piva ; en haut, le canyon de la Tara

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